Ni excuses, ni réparations, le rapport Stora au milieu du guet
À ce moment de grandes tensions sur le territoire français à propos de « l’identité », du « séparatisme » supposé de certains citoyens, du « respect » de la loi républicaine et du rejet institutionnel, réclamé, à l’encontre de celles et ceux se réclamant de la religion musulmane, le « rapport Stora, commande du président Macron, arrive…à point nommé.
Une commande d’état ?
Le fait est que, pour être une commande émanant du seul président de la République, il n’aura échappé à personne, eu égard au fonctionnement présidentiel des institutions, que cette demande, adressée à Benjamin Stora, coïncide, on ne peut mieux, avec le timing que s’est fixé l’exécutif pour légiférer sur l’ensemble de ces questions.
Au point même que la parution du rapport aura lieu le même jour que le début des débats à la chambre des députés sur la fameuse loi « contre les séparatismes » !
Il est donc évident que l’auteur du rapport, seul aux commandes, était en mesure, dès le départ, de saisir parfaitement la destination de son travail et l’instrumentalisation qui allait en être faite.
À la lecture on s’aperçoit rapidement que Benjamin Stora « recentre » sans cesse sa réflexion sur l’aspect psychologique. On pourrait dire qu’il privilégie une approche exclusivement psychologisante. La réminiscence devient alors moins évidente, plus douloureuse, et l’analyse de ce passé est plus confuse, délicate.
Pour les sociétés française et algérienne, que faire de toutes les traces de guerre qui hantent les mémoires ?
Quel statut donner aux souvenirs des uns et des autres ? Quelle interprétation faire de ces silences que les sociétés accumulent pour continuer à vivre ensemble ? Et faut-il tout raconter, tout dévoiler des secrets de la guerre ? La question de la fidélité de la mémoire, de la représentation de la chose passée n’est pas évidente. (page 5)
A vouloir ainsi donner toute sa place à « l’interprétation de ces silences que les sociétés accumulent pour continuer à vivre ensemble » Stora nous livre un avis psychologique, tout à fait personnel et ensuite, mais aussi, ce qui est beaucoup plus lourd de conséquences, mettant les deux « sociétés » (Française et algérienne), sur un pied d’égalité, il affirme qu’elles accumulent, chacune, des silences pour continuer à vivre ensemble.
Comment comprendre une telle affirmation ? Comment accepter comme un fait donné, et acquis, que les colonisés, qui n’ont eu de cesse, depuis le premier jour du débarquement dans la baie d’alger, et tout au long de leur soumission à la France par la force armée, de hurler et d’agir leur désaccord, seraient « murés dans un silence », pour les mêmes raisons, « équitablement » opposées, que celles du colonisateur ?
La colonisation est un état de guerre
Contrairement à ce que propose Stora, il ne saurait y avoir l’ombre d’une équivalence entre les souvenirs du colonisé et ceux du colonisateur pour la simple et bonne raison que la colonisation, conflit non ordinaire, est consubstantiellement un état de guerre permanent. Une guerre de domination et de soumission.
S’agissant de l’Algérie, l’histoire est intraitable et elle nous dit que cet état de guerre commence dès le débarquement de l’armée française et durera, d’une manière ou d’une autre, jusqu’à l’indépendance. Comment oublier notamment qu’il faudra plus de 30 années pour soumettre militairement le Dey de Constantine dans les Aurès (déjà les Aurès !).
Comment effacer de l’histoire que toute l’occupation française de l’Algérie par la France a été jalonnée de révoltes armées et donc marquée par une guerre de libération, permanente?
Comment gommer que, après la défaite du Dey de Constantine en 1837, ce n’est qu’une décennie plus tard et au prix d’âpres combats, que l’armée française estimera avoir réduit la révolte dans les Aurés, là où il avait, avec les partisans, pris le maquis.
Dans cette continuité c’est en 1871 qu’éclate la grande révolte de la Kabylie qui sera noyée dans la sang au point que cet épisode est resté encore vivant dans les mémoires.
Comme dans toutes les Régions soumises par l’état colonial, la guerre mondiale de 1914, par les témoignages des « enrôlés de force » rescapés, et de retour, racontant la boucherie entre les colonisateurs, leurs défaites mutuelles, leurs faiblesses et leur faillibilité, redonnera encore du souffle aux révoltes et rébellions, jusqu’à la guerre de 1940 qui marquera, pour l’Algérie le début du processus qui conduira à l’indépendance. Processsus qui augmentera sa radicalité dans le sang des massacres de Sétif et Guelma commis, le 8 mai 1945, par l’armée française, prétextant une manifestation où fut brandi un drapeau algérien, réalisé par les partisans de Messali Hadj.
NB : A ce propos, plus que de longs discours sur la guerre permanente de libération, la vie militante de Messali Hadj, père fondateur du mouvement indépendantiste moderne, est tout à fait révélatrice de cette continuité de l’état de guerre permanent en l’Algérie.
En 1926, en même temps qu’il adhère au PCF, qu’il quittera bientôt, il créé l’étoile nord-africaine. Il mènera ensuite sans relâche, de déportations en emprisonnements, la lutte pour l’indépendance.
A propos de l’option militaire, c’est en 1947, au congrès du MTLD, organisation héritière du PPA dissout par le gouvernement français de Léon Blum, que sera décidée la création de l’OS (organisation spéciale) qui ne désignait rien d’autre que la fraction armée du parti. À nouveau arrêté, emprisonné, il sera déporté en France, enfermé et ne sera libéré qu’à l’indépendance, en 1962.
Dans ce court récapitulatif, on remarquera que, contrairement à l’idée répandue en France, qui veut faire commencer la « guerre d’Algérie au milieu des années 50, la « solution militaire », a toujours été présente dans le mouvement algérien de résistance .
C’est bien un état de guerre qui a conduit la puissance occupante à mener des combats tout au long de sa présence et à condamner, emprisonner, déporter ou faire assassiner les résistants. C’est cet état de guerre qui a conduit les combattants de 1871 déportés en Nouvelle Calédonie, cette guerre qui avait conduit AbdelKader en déportation à Amboise et Messali Hadj dans les prisons françaises où il passera 35 années de sa vie.
S’agissant de l’Afrique subsaharienne, les mêmes causes y produisent les mêmes effets. La longue guerre menée par Béhanzin, roi d’Abomey, contre les français, se soldant par la défaite de ce dernier, fait qu’il est d’abord déporté en Martinique puis, comble de cynisme, transféré en Algérie où il meurt d’une maladie pulmonaire en 1906.
La question des excuses et des réparations.
Par la voix du président Bouteflika, l’Algérie, devant le parlement français, avait pu, dans un discours intéressant, demander que la France, d’une manière directe, présente ses excuses, pas seulement pour les 8 dernières années de la guerre mais pout toute la période qu’a duré la colonisation.
Bouteklika n’est évidemment pas le seul à avoir soulevé la question des excuses, de la restitution des biens culturels et des réparations. De nombreuses voix se sont élevées, depuis très longtemps, en provenance des pays ex colonisés et jusqu’en France même.
A contrario de ce qui semblait aller dans le sens d’une évolution positive, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, une proposition de loi arrivait brusquement en débat au parlement qui demandait que soit affirmé affirmer le « caractère civilisateur » des guerres coloniales.
De son côté, Benjamin Stora, bien sûr très au fait de ces discussions et débats, à la fois pour éviter de trancher et pour éviter un grand embarras à son commanditaire-président, prend prétexte d’un exemple asiatique, le Japon, où, dit-il, les excuses n’ont servi à rien :
(Page 81) Et l’on voit alors que le discours, d’excuses et pas seulement de reconnaissance des massacres, ne suffit pas à calmer les mémoires blessées, à faire progresser le savoir sur cette question, à faire reculer les stéréotypes, le racisme. Car si l’on fait un détour par l’Asie sur les relations entre le Japon, la Chine et la Corée au XXe siècle, on sait que des excuses ont été pourtant prononcées…
Cet argument, s’il en est un, est pour le moins fallacieux, car bien évidemment, ce sont les « excuses » qui, seules, peuvent ouvrir la voie à des relations marquées par le respect et non pas les « massacres », qui eux, on le voit bien dans le rapport, ne sont utilisés que pour renvoyer dos à dos des belligérants « ordinaires » d’un conflit « ordinaire », ce qui, les renvoyant dos à dos, aurait pour avantage majeur d’exonérer aussi le colonisateur.
Rien de plus faux que de parler de « belligérants », lorsqu’il y a eu colonisation, il n’y a pas, bien évidemment égalité, même dans les massacres. Par ailleurs, pour information, durant la dernière décennie de la guerre, l’armée française aura perdu quelques dizaines de militaires, alors que la population algérienne comptera ses morts, civils et combattants, par centaines de mille.
En réalité, seul point de départ possible, les excuses du colonisateur, adressées à tous les ex colonisés sont indispensables car elles seules permettront d’aborder sereinement la question de la restitution des biens volés et celle des réparations.
Le fait qu’elles soient écartées par le rapport et sachant que celui-ci sera utilisé par le président Macron dans ses décisions, on peut penser que, pour les pays victimes, rien encore ne va dans le bon sens.
François Charles, L’Autre Afrique