À la conquête des Hooxos : observer les rituels ou subir la colère des jumeaux (Suite et fin)
Pour les jumeaux décédés, accomplir les rituels est un devoir et nul n’a le droit de s’y dérober. Dans le cas contraire, le jumeau vivant et les parents subissent toutes les retombées qui découlent de leur négligence ou de leur refus. Tant que la tradition n’est pas respectée, le jumeau parti trop tôt déclenche sa colère sur son second et sur ses parents jusqu’à ce que sa mémoire soit honorée. Le jumeau décédé constitue le Yê et occupe un espace dans la famille qui n’est pas visible pour les parents, mais pour son second. Pour cela, il doit être mis dans les meilleures conditions de vie.
Selon le professeur Dodji Amounzouvi, si les rituels ne sont pas observés, «cela perturbe tout le monde à commencer par le frère ou la sœur resté (e) vivant (e) ainsi que les parents et la famille. Et tant que ce n’est pas fait, il n’y a pas la paix». Les perturbations sont de tous ordres et cela dépend du degré de la forfaiture ou de l’hérésie commis en ne les faisant pas. Et au professeur d’ajouter «Qu’on y croie ou pas, c’est une croyance qui est perturbée et il faut la rétablir. Nos ancêtres ont conçu la société de cette manière-là et tant que nous sommes issus de cette société, nous ne pouvons pas nous y dérober».
Pour lui, les religions du vodou dans lesquelles la tradition est ancrée ne doivent pas être banalisées, et donc, il est utile de savoir que ce sont des évènements fondateurs de notre culture. Sur la même question, Joël Tchogbé, sociologue précise : «Si les rituels ne sont pas accomplis, il y a des conséquences. La plupart du temps, elles sont assez fâcheuses, assez dramatiques. Il peut s’agir d’une sécheresse financière, d’une tension de trésorerie, d’une maladie inexpliquée. Il y a toutes sortes de problèmes qui peuvent se dresser sur le chemin de ses familles qui n’ont pas voulu accomplir les rites nécessaires pour honorer la mémoire du jumeau qui ne vit plus».
Souvent, après consultation, il y a des prescriptions que le devin recommande pour solliciter la clémence du jumeau disparu. Cette solution vise à rechercher une once de repos pour la famille qui désormais prend l’engagement de vénérer comme cela se doit, sa mémoire informe le spécialiste. Au-delà de ces conséquences qui concernent la famille et les parents, Joël Tchogbé affirme que le jumeau resté vivant peut être aussi sujet de mort subite. Selon l’interprétation des croyances africaines, il s‘agit là, d’une foudre, d’une colère que l’autre jumeau qui est parti exprime si les sacrifices ne sont pas faits. De même, étant vivant, il peut avoir un certain déséquilibre dans l’existence. Étant donné qu’ils ont partagé un même placenta, ils sont donc unis par un même destin.
En conséquence, c’est comme une partie de lui qui ne vit plus. Il a donc besoin de l’appui et de l’assistance de l’autre jumeau. En son absence, il devient un objet volant, sans appui. Par ailleurs, la lucidité, la sagesse et la tempérance dont il est doté peuvent tomber en carence dans sa vie. En effet, il est victime des maladies, des problèmes et cela peut être aussi le canal choisi par le jumeau décédé pour envoyer un message aux parents qui doivent rapidement honorer sa mémoire. Lorsque les rituels ne sont pas accomplis, les parents vivent toutes les situations difficiles que les Hooxos sont venus apaiser, souligne le professeur Raymond Assogba.
Les chrétiens et les jumeaux
Dans l’observance des rituels dédiés aux jumeaux, les familles chrétiennes ont mis du temps avant d’accepter de se conformer à la tradition. Raymond Assogba, sociologue, confie que c’est après plus de 200 ans que l’église a cessé de diaboliser les Hooxos et a décidé d’accomplir les rituels pour les chrétiens. En effet, selon les témoignages, cette pratique a toujours été diabolisée dans certains milieux. Cependant, dans la société africaine, les jumeaux sont sacrés. Et donc, si l’un est allé chercher du bois dans la forêt, il faut retourner à la source et faire les rituels comme le recommandent les spécialistes.
Autrement, les conséquences viennent s’abattre sur ceux qui sont réticents. «Une famille qui se refuse d’honorer ses jumeaux et d’ignorer les ‘’Jo Wa Mon’’ se suicide de façon collective. Elles doivent aller à la quête des rituels et s’équilibrer», conseille le professeur d’université. Fondamentalement, cela ne devrait pas être un problème pour ceux qui ne sont pas de la religion du vodou. C’est une pratique séculaire mise en place et le faire, revient à s’attirer les bonnes jouissances de la vie et s’éviter la colère des jumeaux indique le professeur Dodji Amounzounvi.
Les experts de la question affirment que les parents chrétiens de jumeaux par refus d’observer les rituels vivent toutes les situations difficiles. Et l’Église, ayant compris cela, a décidé d’accomplir les rituels à sa manière. Cependant pour les spécialistes, il ne revient pas aux prêtres de le faire, mais il faut plutôt aller à la source pour interroger les ancêtres, défend Raymond Assogba. Le professeur Dodji Amouzounvi confirme : «Seuls ceux qui sont consacrés pour réaliser ce type de rituel peuvent le faire et pas n’importe qui, pas même les prêtres. Le faire est une provocation et une usurpation ». En résumé, les jumeaux occupent une place importante dans l’histoire de l’humanité et aucune religion ou modernité ne doit entraver l’observance des rituels qui leur sont dus. Dans le cas contraire, les conséquences viennent ramener à l’ordre les indécis. Par ailleurs, seuls les initiés de la tradition peuvent effectuer les rites réservés aux jumeaux pour profiter de leur existence et présence.
Anecdotes sur les jumeaux
« J’étais aux études en Allemagne lorsqu’une jumelle a gagné une bourse et devrait venir. Son second, un garçon est décédé et tous les rituels ont été faits. Il est devenu une statuette sacrée qu’elle devait porter sur elle. La dame a refusé de garder son frère et de partir en voyage avec lui. Ses parents l’ont suivie et l’ont suppliée jusqu’à l’aéroport. Ils ont essayé de la convaincre de partir avec son frère. Mais la jumelle a refusé. Selon elle, toutes ces choses sont de la diablerie, du satanisme puisqu’elle va au pays des hommes modernes. Elle a donc été catégorique bien que sa maman ait tout dit. La statuette de son frère était habillée dans la même tenue qu’elle. Elle est donc rentrée dans la salle d’embarquement et la maman est retournée à la maison avec le frère. C’était Cotonou-Paris-Berlin. Moi, je suis allé chercher la dame à l’aéroport. Pour nous rendre à sa résidence, nous étions précédés de la concierge qui avait apprêté sa chambre la veille et qui y est retournée le matin pour une dernière vérification. Rentrée la première, la blanche a crié et a failli tomber en syncope, parce que déjà nous avait précédé le second de l’étudiante. Il était là dans la même tenue que celle portée par sa seconde. Ne comprenant rien, la concierge était choquée de voir une statuette habillée de la même manière que la jumelle qui elle-même n’en revenait pas. Elle a donc appelé sa maman pour lui dire de ne pas chercher son second et qu’il est avec elle. Depuis ce jour, elle ne s’est plus jamais séparée de son frère. C’est une histoire authentique que j’ai vécue. » Professeur Dodji Amouzounvi
«Un jour, une jumelle a eu un problème de vue et avait également du mal à écouter avec une oreille. Avant que cela ne lui arrive, elle avait raconté que l’oreille de la statuette de son jumeau est tombée et qu’elle a négligé et n’a pas voulu aller réparer. En plus de cela, la statuette aussi est tombée. Quelques jours après, elle-même ressentait des douleurs dans son corps alors qu’elle n’était ni tombée ni allée faire du sport. Les jours suivants, elle n’entendait plus bien et c’est le même côté que l’oreille de son jumeau tombé qui a été bouchée. Elle a donc ressenti les mêmes douleurs que son jumeau. D’où le lien et la communion entre les jumeaux décédés ou non, restent un mystère et font réfléchir», Joël Tchogbé, Sociologue
«Un étudiant a témoigné qu’il avait échoué au Bac parce que ses parents chrétiens avaient refusé d’accomplir les rituels. Malgré leur refus, il a décidé de s’approprier la statuette de son second et d’en prendre soin. C’est à partir de ce moment qu’il a été admis au Baccalauréat», Professeur Raymond Assogba
Réalisation : Comfort Sant’Anna