Le 11 décembre est la date décrétée sur le plan mondial pour célébrer chaque année la journée mondiale des enfants partis trop tôt. L’objectif est de soutenir les femmes qui pour plusieurs raisons, subissent au cours de la grossesse ou après l’accouchement, l’épreuve de la perte d’un enfant. Généralement, cette douleur que traversent certains couples et surtout les femmes est souvent minimisée par leurs proches qui le vivent seulement pendant quelques jours et passent très vite à autre chose. Première victime en ligne de mire, la maman ayant perdu son enfant reste particulièrement la seule personne à vivre cette perte de la façon la plus douloureuse et la plus intense qui soit. Que ressentent-elles au moment de la perte de leur enfant ? Quelles sont les causes probables ? Comment réagissent ces femmes ? Quelles sont les actions menées dans ce sens ? Les femmes elles-mêmes témoignent. Docteur, psychologue et spécialiste se prononcent aussi sur la question.
Cri de femme en travail, délivrance et pleur d’enfant. Ce sont les moments forts en émotion qui caractérisent l’annonce de la venue au monde d’un nouvel être. Mais cette nouvelle peut très vite se transformer en pire cauchemar lorsque l’enfant dont les cris ont retenti d’un moment à l’autre est en souffrance dans ses premières minutes de vie ou ne plus respirer quelques heures, jours ou semaines plus tard. Le cas suivant est édifiant :
« J’ai accouché normalement et je suis rentrée avec mon bébé. Quelques jours plus tard, son ventre a commencé par se gonfler et nous sommes revenus à l’hôpital. C’est là qu’il est décédé. C’était ma deuxième grossesse. Cela m’avait vraiment touché »
C’est le témoignage de Flora Atchoé, une femme enceinte de teint noir, la trentaine environ, rencontrée dans un centre hospitalier un mercredi matin. Couchée dans son lit d’hospitalisation, elle avait l’air abattu. Comme Flora, nombreuses sont les femmes qui affrontent malgré elles cette douleur que leur inflige la vie. Si pour sa part, elle a eu la chance de garder sa grossesse à terme avant de perdre son bébé par la suite, d’autres femmes n’arrivent pas à aller jusqu’au bout. C’est le cas par exemple de Maïssara Amoussa, une femme interrogée dans les couloirs du même centre. Elle est enceinte de son troisième enfant.
« Pour ma première grossesse, j’avais régulièrement des pertes de sang. Et au moment de la consultation, ils ont constaté que le fœtus ne grandissait pas. La grossesse a donc été interrompu et ils m’ont nettoyé le ventre, pour la deuxième, c’était pareil ».
En effet, des cas du genre sont légion et plusieurs femmes traversent cette épreuve d’un moment à un autre. Comme les mamans, certains papas n’arrivent pas à accepter au début la perte du bébé même si cela leur passe très rapidement contrairement à la femme.
Laurianne donne son exemple : « Quand j’ai perdu ma grossesse, ce n’était pas facile de gérer et de digérer tout ça. Mon mari a mal réagi parce qu’il avait tellement investi pour les médicaments, les échographies. Il était en colère au début mais après, cela lui est passé, la belle-famille aussi ».
Selon le docteur Acakpo Barnard, interne des hôpitaux en gynécologie obstétrique trois causes sont souvent à la base de la perte des enfants.
« Le premier retard est celui lié à la décision. Lorsque la femme est à la maison et qu’elle commence par ressentir des contractions utérines, au lieu de prendre la décision de se rendre à l’hôpital, elle se dit je vais attendre mon mari ou je n’ai pas les moyens pour me rendre à l’hôpital ou il n’y a personne qui va rester avec les enfants à la maison.
Il y a plusieurs facteurs qui poussent les femmes à hésiter de vite se rendre à l’hôpital ».
Rosaline est une femme qui venait à peine de perdre ses enfants. Ses propos corroborent la cause relevée par le docteur et constituent un exemple palpable «Dans la nuit profonde, quand j’ai commencé par ressentir des douleurs, j’ai contacté mon mari. Mais, il n’était pas disponible, n’était pas outre mesure paniqué et me disait qu’il ne pouvait venir que le soir. Le temps passait. J’avais donc un peu d’argent sur moi et je n’ai pas attendu. C’est le mari de ma voisine qui m’a conduit à l’hôpital et j’ai été transféré ici à l’Homel. Juste après, j’ai appris que mes jumeaux étaient en danger et je ne pourrai pas garder après la naissance. Je les ai perdus. Quand j’ai informé le père de mes enfants, j’ai constaté que cela ne lui a pas fait mal en tant que tel ».
Pour la deuxième cause, l’interne des hôpitaux explique que le retard est lié au déplacement de la maison vers les centres de santé ou l’hôpital. Selon lui, lorsque la femme décide de se rendre à l’hôpital, elle peut être confrontée à d’autres obstacles comme la route qui est dégradée ou l’absence de moyens de déplacement immédiatement à disposition.
Le troisième retard est celui lié au soin. C’est celui qu’on observe à l’hôpital dont les longues files d’attente, la référence vers un autre centre de santé et le temps de préparation qui joue sur la femme et par conséquent, peut constituer une cause de décès de l’enfant.
Les causes directes sont liées aux hémorragies, à la tension artérielle qui monte ou d’autres pathologies qui peuvent aggraver la grossesse. De même, lorsque le bébé naît de façon prématurée ou lorsque la femme a trainé une infection au cours de la grossesse et n’a pas été traité, ces infections peuvent être transmises à l’enfant et être à l’origine de son décès précise-t-il.
Une perte fatale, une blessure indélébile…
« Suite à la perte de mon enfant, j’ai beaucoup pleuré. Dans mon quartier, on me traitait de tout vu que mon âge était un peu avancé et je n’avais pas de mari, ni d’enfant. Donc, ma grossesse a étonné plus d’un et d’autres en étaient jaloux. J’attendais mes enfants avec impatience. Je les ai perdus et je n’arrive pas à supporter la douleur. Tellement, cela me fait mal » C’est la confession de dame Rosaline. L’on pouvait ressentir sa douleur à travers sa voix tremblante. Haroldia Coovi est psychologue clinicienne. Elle explique : « Les femmes qui perdent souvent un enfant le vivent très mal. D’abord, il y a cet état de choc, le déni qui s’installe parce qu’on a du mal à prendre conscience de la perte de l’enfant. C’est comme un cauchemar, ce n’est pas réel et elles se disent que le bébé va revenir ». Elle poursuit : « Il y a cet état d’esprit qui dure plusieurs heures chez certaines, plusieurs jours chez d’autres puis elle commence par avoir des flash-backs ensuite. Elles se demandent comment l’accouchement s’est passé et se posent beaucoup de questions ». La douleur est encore plus grande lorsque le mari ou la belle-famille au lieu de consoler la femme avancent des propos blessants du genre : « Tu n’es pas capable de me faire un enfant, tu n’es pas capable de garder une grossesse, la femme de mon ami a pu le faire et pourquoi pas toi ? » C’est ce type de stigmatisation dont sont victimes les femmes ayant perdu un ou plusieurs enfants et c’est cela qui augmente le plus leur douleur. Pour traverser cette période difficile de leur vie et surmonter cette épreuve, les femmes ou les couples ont souvent recours aux professionnels de la psychothérapie. La spécialiste Haroldia Coovi précise : « Pour les accompagner, nous commençons avec la psychothérapie de soutien qui consiste à rassurer la patiente, l’aider à déculpabiliser. La femme se culpabilise souvent après la perte de son enfant, se pose beaucoup de questions et déprime. L’autre étape que nous passons aussi est de voir si la perte de ce bébé n’impacte pas la vie de couple ». Partageant les expériences de sa carrière professionnelle, la psychologue témoigne : « J’ai été particulièrement marqué par une patiente qui a avait perdu son bébé à cause d’une malformation au niveau du cœur. Elle était dans un désir de grossesse depuis plusieurs années et tout au long de la grossesse, tout se passait absolument bien. Au bout du 8ième mois, les médecins ont remarqué une malformation au niveau du cœur qui était passée inaperçue les mois précédents lors des échographies. Le docteur lui a dit que ce n’est pas évident qu’elle puisse garder son bébé. Elle espérait jusqu’à la dernière minute mais le bébé n’a pas survécu. Elle était en état de choc, en crise de colère et de larmes ». Elle ajoute : Beaucoup d’entre elles disent qu’il y a comme une sensation de vide qui s’installe mais grâce à la thérapie, cette patiente s’en est remise de cette perte. Selon la psychologue, l’homme et la femme vivent le deuil chacun à sa façon. Par ailleurs, les statistiques enregistrées chaque année sur le taux de mortalité infantile au Bénin en disent long. Selon les chiffres, environ 121 décès s’observent sur 13.000 naissances par an. Malheureusement, seules les femmes victimes vivent réellement cette perte. Pour leur part, les hommes ressentent le manque ou l’absence du bébé dans la maison et la douleur de ne plus être papa. Ce phénomène sévit dans le rang des mamans, des couples et des familles depuis toujours. Mais aucune voix ne s’élève réellement pour en parler et soutenir les femmes. Pour renverser la donne, Nadège Bignon Anago, une femme qui a fait cette expérience de vie, a décidé de faire connaître son histoire au monde entier à travers son livre ‘’ En paix avec la vie, comment guérir de la perte d’un enfant’’. Spécialiste genre et inclusion sociale, elle confie : « J’ai écrit cet ouvrage pour moi-même, pour avancer, car c’est une autobiographie, pour rappeler à une personne qui vit le deuil d’un enfant qu’elle n’est pas seule et pour enfin soutenir et accompagner vers la guérison toutes les personnes qui vivent ce traumatisme contre nature car, c’est les enfants qui doivent enterrer leurs parents et pas le contraire ». Selon ses dires, « l’on peut se sentir tellement seule dans ce cas avec l’entourage qui ne comprend pas votre ressenti et qui est pressé de vous voir passer à autre chose ». Il faut dire que dans le cadre de la journée mondiale des enfants partis trop tôt célébrée le 11 décembre dernier, le thème sur lequel les débats se sont concentrés a été : « La fragilité de la vie et l’importance de chérir chaque moment ». Cela pour dire que la vie est très fragile et il est important d’apprécier chaque moment tel qu’il se présente malgré les difficultés.
Réalisation : Comfort Sant’Anna