Rentrée judiciaire à la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme : La cybercriminalité explose, la justice répressive étale ses limites

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Des chiffres alarmants sur la cybercriminalité qui plongent l’acteur réfléchi dans un dilemme face au bilan et à l’analyse de l’efficacité de la politique pénale répressive.

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En effet, la rentrée judiciaire 2024-2025 de la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (Criet), présidée par le magistrat Édouard Cyriaque Dossa le mercredi 9 octobre 2024, a soulevé des questions cruciales sur la gestion des infractions émergentes, en particulier la cybercriminalité. Le procureur spécial, Mario Mètonou, a dressé un bilan impressionnant de 6.358 procédures traitées en six ans, dont près de 2 000 liées à la cybercriminalité.

Cette explosion des cas, bien que témoignant de l’efficacité grandissante des services d’enquête et du Centre National d’Investigations Numériques (CNIN), pose un défi majeur : comment traiter ces jeunes délinquants sans compromettre l’avenir du pays tout en préservant son image ?

L’essor inquiétant de la cybercriminalité

Les chiffres dévoilés par le procureur spécial Mario Mètonou ne laissent aucun doute : la cybercriminalité prend des proportions alarmantes au Bénin. En 2024 seulement, 576 procédures ont été ouvertes, contre 415 l’année précédente. Si cette montée traduit une meilleure capacité des services d’enquête à détecter et traiter ces affaires, elle soulève aussi des inquiétudes quant aux solutions apportées.

La réponse actuelle, en grande partie basée sur des peines de prison, semble inadéquate face à un phénomène souvent perçu comme un exutoire pour des jeunes en quête d’ascension sociale rapide. Loin de nous l’idée de faire apologie du crime dans les cyberespaces. Mais dans la quête de données pour cerner la psychologie du jeune cybercriminel, un discours revient avec instance.

Pour beaucoup de ces jeunes, la cybercriminalité est devenue une voie de secours dans un environnement où les opportunités économiques et éducatives se font rares. Cependant, ils enfreignent la loi et finissent par purger des peines pouvant aller jusqu’à sept ans, brisant ainsi leur avenir et celui de leurs familles. Le président de la Criet, Édouard Cyriaque Dossa, a d’ailleurs souligné ce dilemme : « Condamner ces jeunes, c’est compromettre immédiatement l’avenir du pays. Ne pas les condamner, c’est détruire l’image du pays. »

Un dilemme moral et économique

Les propos du président Cyriaque Dossa illustrent bien le double enjeu auquel le système judiciaire béninois fait face. La cybercriminalité, à travers ses ramifications internationales, affecte l’image du Bénin et inquiète les investisseurs.

Ne pas prendre des mesures fermes contre cette forme de criminalité pourrait éloigner les capitaux étrangers et impacter l’économie nationale. Cependant, une réponse punitive sévère, comme les longues peines de prison, risque de marginaliser une génération de jeunes et d’entraîner des répercussions sociales et familiales lourdes, notamment à travers des drames émotionnels et psychologiques.

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Ce dilemme met en lumière la nécessité de repenser les réponses judiciaires actuelles. La cybercriminalité est une infraction relativement nouvelle, dont les contours restent flous et qui mérite une approche à la fois ferme et flexible. Il ne s’agit pas simplement de condamner des coupables, mais de prévenir cette criminalité par l’éducation et la réinsertion.

Explorer des solutions pour une justice plus efficace et humaine…

Au Bénin, la politique pénale est assez ferme contre la cybercriminalité. Mais il est évident que la stratégie actuelle, fondée principalement sur la répression, ne peut pas suffire. Il y a bien d’autres solutions additionnelles qui font école ailleurs. Ces pistes de solutions sont inspirées des bonnes pratiques observées en Afrique de l’Ouest, en France et aux États-Unis.

Dans ces pays, pour traiter de la cybercriminalité et d’autres infractions connexes, l’approche est beaucoup plus intégrée. Il s’agit par exemple du  »Programme de réhabilitation et de formation’’. Au Nigeria et au Ghana, des initiatives de réinsertion ont été mises en place pour les jeunes condamnés pour cybercriminalité. Ils bénéficient de formations en compétences numériques légales, les aidant à utiliser leurs talents de manière positive dans des secteurs comme le développement de logiciels ou le service client numérique.

Ces programmes, soutenus par des partenariats avec des entreprises privées, offrent une alternative à l’emprisonnement et contribuent à réduire la récidive. Toujours dans le panier des solutions alternatives à la prison à tout prix, il y a la  »Justice réparatrice ». Inspiré des modèles en France et au Canada, un système de justice réparatrice pourrait être envisagé.

Ce modèle implique que les jeunes délinquants réparent les torts causés par leurs actes en s’engageant dans des travaux communautaires ou en dédommageant les victimes. Cela pourrait permettre une responsabilisation sans recourir systématiquement à des peines de prison.

À ces deux solutions, on peut ajouter les  »Programmes de prévention ». Aux États-Unis par exemple, plusieurs États ont mis en place des campagnes de sensibilisation sur les dangers de la cybercriminalité à travers des ateliers scolaires et des campagnes de communication destinées aux jeunes.

Ces initiatives ont pour but de prévenir le phénomène en éduquant la population cible sur les conséquences légales et sociales de ces infractions. Parallèlement à ces trois pistes, il est possible de penser à la  »Création d’un cadre légal spécifique ». Ici, le Bénin pourrait envisager un cadre législatif plus précis autour de la cybercriminalité, en définissant clairement les actes punissables, les peines appropriées et les circonstances atténuantes.

Un tel cadre permettrait une meilleure évaluation des situations individuelles et éviterait la condamnation systématique de jeunes qui pourraient être réhabilités. En définitive, la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme est à un carrefour décisif dans la gestion des faits de Cybercriminalité.

Au regard de ce qui précède, poursuivre dans une voie purement répressive serait un leurre. Il est plus qu’urgent de réinventer la justice en optant pour des solutions adaptées à l’évolution des crimes modernes. Le bilan présenté par le procureur Mario Mètonou montre que la répression a ses limites, surtout face à des jeunes souvent égarés par manque de perspectives. En s’inspirant des exemples de réinsertion et de prévention observés ailleurs, les autorités judiciaires béninoises pourraient non seulement endiguer la montée de la cybercriminalité, mais aussi offrir à ces jeunes une chance de contribuer positivement au développement du pays. Aux acteurs judiciaires de savoir combiner avec tact, souplesse et fermeté dans la lutte contre la cybercriminalité.

Joseph Sossou

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