Suspension du Chef d’arrondissement de Glô-Djigbé : Le maire Ahouandjinou dans le déni, l’arrêté bon pour la poubelle

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À la mi-février 2025, le Chef d’arrondissement (Ca) de Glô-Djigbé dans la commune d’Abomey-Calavi était loin de s’imaginer qu’il serait  »out ». Et pourtant, dame rumeur était là comme un symbole d’un signe avant-coureur du plat salé que le Maire Angelo Ahouandjinou lui préparait. De bouche-à-oreille, on apprendra que le CA de Glo-Djigbé, Boco Sètondji serait suspendu. Tout est allé très vite. Dans la foulée, le maire d’Abomey-Calavi Angelo Ahouandjinou va adresser une demande d’explication au Ca.

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Au mépris des règles administratives, la correspondance portant sur cette demande d’explication n’est pas datée comme si le maire agissait sous contrainte ou avait les mains liées. 25 février 2025. Boco Sètondji va répondre à la demande du maire Angelo Ahouandjinou. 5 mars 2025. Jour noir et sombre pour le Ca de Glô-Djigbé Boco Sètondji. Angelo Ahouandjinou a signé ce jour-là même un arrêté de suspension du Chef d’arrondissement de Glo-Djigbé. Et le pays s’est mis à chuchoter.

L’actualité s’est emballée. Qui pour jouer aux avocats défenseurs ? Qui pour offrir au Ca suspendu des épaules pour verser ses ressentis ? C’est dans ce flou que le Département enquête et investigation (Dei) du Groupe de presse Le Potentiel a co-réalisé avec le groupe de presse Le Béninois Libéré, une enquête journalistique approfondie sur le sujet. Deux objectifs sont poursuivis : comprendre les motivations de cette décision et se convaincre ou non de l’opportunité de cet acte de suspension à l’aune des faits et des lois de la décentralisation.

Des faits, une procédure bancale et des incohérences

Auprès de l’administration municipale, nos équipes d’enquêteurs ont pu obtenir copie de la demande d’explication signée du maire Angelo Ahouandjinou et adressée au Ca de Glô-Djigbé Boco Sètondji. La demande s’étale sur cinq (5) pages. Elle n’est pas datée mais paraphée par le chef de cabinet du maire. Pour nos enquêteurs, cette anomalie éveille des curiosités. La réponse du Ca de Glô-Djigbé tient sur une page.

La décision de suspension et la capture d’écran documentée ont été aussi consultées. Rappelons que tout a commencé en novembre 2024 sur un forum dénommé INFOS tous conseillers/SAC, qui réunit les 49 conseillers municipaux, la secrétaire exécutive et l’une de ses collaboratrices, soit 51 personnes au total. Nos équipes d’investigation ont pu lire tous les messages incriminés, où le nom du chef de l’État n’a été évoqué nulle part, mais où des commentaires portaient sur des ressentiments entre responsables d’un certain niveau occupant des parcelles de pouvoir.

Selon nos sources, ces échanges WhatsApp n’étaient pas censés sortir de ce cadre. Or, à la base de cette procédure, le maire s’offusquait de ce que le Ca de Glô-Djigbé s’en serait vertement pris au Chef de l’État. Le nom de Patrice Talon ne figurait nulle part dans les messages incriminés. Dès cet instant, les motivations de la procédure qui a conduit à la suspension du Ca de Glô-Djigbé Boco Sètondji sont sujettes à interrogation.

Tout amène à conclure qu’il y a des incohérences de la procédure ayant entraîné la suspension de Boco Sètondji. Attardons-nous sur les documents échangés. Dans la demande d’explication, le maire Angelo Ahouandjinou a même mal écrit le nom de l’arrondissement qui est sous son autorité. On y lit Glô-Djigbé au lieu de Golo-Djigbé. Il s’agit d’une erreur que le maire a tenté de rattraper dans la décision de suspension. Dans cet article, volontiers nous écrivons Glô-Djigbé pour les commodités de lecture et de communication populaire.

Cela est admis dans la presse. Mais un courrier administratif ne peut se permettre une telle option au risque d’enfreindre aux coutumes administratives. Dans le deuxième paragraphe de la demande d’explication, la dernière phrase retient l’attention, sic : « (…) Ainsi, la kyrielle de vos écrits retient ici notre attention et donne à réfléchir sur la qualité de militant UP-R que vous êtes (…).» Ce passage soulève des interrogations sur la qualité du contenu de la demande. S’agit-il d’un leader politique qui adresse un courrier à un subordonné de base, ou d’une autorité administrative (le maire) qui s’adresse à un chef d’arrondissement ? Ici, Angelo Ahouandjinou s’est presque mis dans un costume de Chef de parti montant sur ses grands chevaux et, avec condescendance, s’adresse à un Chef d’arrondissement confondant ce dernier à un militant de dernier échelon.

De leçons de droit administratif, un recyclage s’impose à l’édile

La gouvernance locale est régie par des lois. Les communes ne sont ni des royaumes ni des monarchies où les maires peuvent se permettre tout et rien à la fois. Dans cette affaire de suspension du Ca de Glô-Djigbé Boco Sètondji, tout indique que le maire Angelo Ahouandjinou aurait pu relire ses cours de droit administratif qu’il ne serait pas aujourd’hui un sujet à débat sur la scène publique.

Pour suspendre le Ca de Glô-Djigbé, l’édile d’Abomey-Calavi s’est accroché à la loi n°2021-14 du 20 décembre 2021 portant code de l’Administration territoriale en République du Bénin. Cette loi maladroitement invoquée, preuve d’une incompétence en matière de décentralisation, prescrit en son article 120, alinéa 1, que la suspension ne peut excéder deux (02) mois. Or, dans sa décision, le maire Angelo Ahouandjinou n’a précisé aucun délai pour cette suspension. Plus grave encore, le maire écrit à l’article 1er de l’arrêté de suspension : « (…) Monsieur Boco Sètondji est suspendu de son poste de chef d’arrondissement (…) ».

Banniere carrée

Le maire confond-il des postes administratifs aux fonctions politiques ? Un poste de CA est une fonction et non un poste dans l’administration. L’article 119 de la loi n°2021-14 du 20 décembre 2021 portant Code de l’administration territoriale en République du Bénin, invoqué pour suspendre le chef d’arrondissement de Glô-Djigbé fait aussi polémique. Les experts en décentralisation et les juristes contactés sont unanimes. Selon eux, il y a une mauvaise interprétation et une mauvaise application de ce texte.

En effet, le paragraphe 4, intitulé « Régime de responsabilité du maire et des adjoints au maire », est consacré aux maires et aux adjoints au maire, qui peuvent être suspendus ou révoqués de leurs fonctions en cas de faute lourde. Or, ce texte ne concerne en aucun cas un chef d’arrondissement. Il s’ensuit que le maire s’est totalement trompé en invoquant un article de loi qui ne s’applique pas à cette situation de prétendue faute lourde commise par le Ca de Glô-Djigbé.

Une entorse à la liberté d’expression et des méprises diverses

La décision de suspension du Chef d’arrondissement de Glô-Djigbé heurte des bases juridiques. Pas plus qu’elle n’est pas loin d’éveiller des soupçons au plan politique. On peut donc, à raison, suspecter une décision juridiquement infondée et politiquement dangereuse. Le Ca de Glô-Djigbé Boco Sètondji a été suspendu pour « manquement grave à l’obligation de réserve ».Un manquement à l’obligation de réserve est une violation supposée de la déontologie administrative. Cela suppose normalement que l’intéressé (ici le CA) ait divulgué ou commenté une information liée à ses fonctions.

Ici, ce motif est manipulable à volonté. Cette affaire de  » réserve  » heurte aussi la liberté d’expression reconnue et protégée par la Constitution. S’exprimer dans un groupe restreint de 51 personnes, sans tenir des propos contraires à la probité, à la déontologie administrative ou aux lois, ne constitue aucune infraction. Nulle part, il n’est question de diffamation ou d’injures. Ce n’est pas pour ces raisons justifiées que le Ca a été suspendu. Mais bien parce que son avis est contraire à la pensée et à la ligne de lecture du maire qui n’est qu’un citoyen comme tout autre libre d’assumer ses opinions.

Même au sommet de l’État, des ministres et députés expriment leur désaccord en privé sur certaines questions précises. Pourquoi en serait-il autrement pour un élu local en contact avec la base ? Ou alors, le maire d’Abomey-Calavi veut-il régenter l’expression des opinions sur son territoire ? Ou alors, veut-il placer sous tutelle des cerveaux ? Un député, par exemple, qui donnerait son avis sur une loi introduite par la mouvance dans un groupe privé, aurait-il commis une faute ou violé la loi ? S’il avait organisé un meeting avec des centaines ou des milliers de personnes, on aurait pu s’interroger sur ses motivations. Mais ici, rien ne justifie une suspension. Car le Chef d’arrondissement a exprimé ses idées dans un groupe privé WhatsApp et sans diffamation ni injures.

Le maire Angelo Ahouandjinou a fait ampliation, entre autres, au président du parti Union Progressiste le Renouveau (Up-r) dont le CA est issu. Si le parti politique estime que le chef d’arrondissement n’est plus loyal, il lui appartient d’engager une procédure pour lui retirer sa confiance. C’est le chef de parti qui initie cette procédure et non le maire. En la matière, cette procédure doit se faire selon les règles de l’art. Si la compétence et la connaissance des textes étaient au rendez-vous, le Ca aurait dû être traité selon la procédure de perte de confiance (destitution), régie par la loi 2020-13 interprétant et complétant la loi n°2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral, et non selon une procédure pour faute lourde (suspension).

Au regard de tous les impairs jalonnant cette procédure de suspension du Ca de Glô-Djigbé, on comprend aisément que les réelles motivations sont ailleurs. Faute de base juridique, une loi et un article inapplicables au chef d’arrondissement ont été invoqués pour justifier le forfait et le coup de force illégal. Le mal, une majeure partie du Conseil municipal a été utilisée pour couvrir le forfait. Ailleurs, une telle bourde allait conduire le maire à la démission.

Tout au moins, un Conseil municipal qui veut s’affranchir allait initier une motion de défiance contre le maire pour sa méconnaissance des textes qu’il est censé maîtriser. En de pareilles circonstances, le CA de Glô-Djigbé devrait déférer cette procédure devant le juge administratif de la Cour suprême ou le juge constitutionnel. Il serait presque un miracle que le juge administratif ou constitutionnel donne raison au maire d’Abomey-Calavi avec autant de vices tout au long de la procédure. Les décisions du juge seront comme une gifle vertigineuse pour le maire Angelo Ahouandjinou.

Mais, il va falloir encore attendre pour savoir ce que fera le chef d’arrondissement de Glô-Djigbé Boco Sètondji. Lors de notre enquête, nous avons sollicité à dix reprises des rendez-vous avec le CA suspendu, qui a refusé de nous recevoir, prétextant qu’il ne souhaitait pas évoquer ce sujet avec qui que ce soit. Est-il dans la résignation ? Ou alors, préfère-t-il un arbitrage politique à l’ombre du baobab loin du bras de fer juridique ? Nul ne peut répondre avec certitude. Quoi qu’il en soit, la réforme sur le secteur de la décentralisation ne devrait plus tâtonner à cause des notes de lecture en retard de certains maires qui peinent à maîtriser les textes sur la gouvernance locale.

Le Potentiel fait un suivi particulier sur les faits de gouvernance locale. Le présent article n’est qu’une première d’une série. Les implications juridiques et politiques de cette piètre décision de suspension d’un CA au motif de faute lourde seront traitées de façon séquentielle.

Brivaël Klokpê Sogbovi

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