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Tribune de Jean-Claude Yevi , 1er Août au Bénin : 65 ans de souveraineté, repenser la mémoire, réinventer la citoyenneté

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Par Jean-Claude Yevi, consultant en communication interculturelle – Analyste des dynamiques culturelles et politiques en Afrique de l’Ouest

Un héritage à transmettre:


Le 1er août 2025, le Bénin célébrera les 65 ans de son accession à la souveraineté nationale et internationale. Cette date hautement symbolique invite à revisiter les fondements de notre construction nationale, à interroger nos trajectoires démocratiques, et à envisager l’avenir dans une perspective de mémoire partagée et de culture civique renouvelée.
Cette commémoration coïncide avec la fin annoncée du second mandat du président Patrice Talon, qui a maintes fois réaffirmé ne pas briguer un troisième mandat. Un engagement qui, dans un contexte ouest-africain souvent troublé, suscite une attention particulière. Que révèle cet anniversaire au croisement de l’histoire, de la culture et de la politique ?

Une mémoire vivante à construire:

L’indépendance du 1er août 1960 fut d’abord un acte politique : la fin de la tutelle coloniale française. Mais au-delà de ce fait juridique, elle symbolise un tournant fondateur qui a mis en mouvement des aspirations profondes de liberté, de dignité et de développement.
Soixante-cinq ans plus tard, que reste-t-il de ce legs dans la conscience collective ? Dans une société béninoise marquée par une grande diversité linguistique, culturelle et générationnelle, la transmission du récit national demeure inégale. Si les discours officiels ressurgissent chaque année dans un cadre rituel, le travail de mémoire, lui, apparaît fragmenté. Les jeunes générations, souvent éloignées des récits fondateurs, ne disposent que rarement d’un accès critique et pédagogique aux archives, aux témoignages et aux symboles de cette période décisive.

Un contexte politique sous vigilance:
L’annonce répétée du président Patrice Talon de ne pas solliciter un troisième mandat s’inscrit dans une logique de respect de la Constitution. Ce choix, dans une région où les transitions démocratiques sont souvent fragilisées, mérite d’être souligné comme un signe de stabilité institutionnelle.

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Cependant, une lecture comparative et analytique invite à différencier les déclarations politiques des dynamiques structurelles. La culture démocratique ne saurait se limiter à la simple application des règles sur la limitation des mandats : elle s’incarne dans la régularité des alternances, l’indépendance des institutions, la liberté de la presse, la place accordée à l’opposition, ou encore la qualité du dialogue entre pouvoirs publics et société civile.
Les quelques mois qui précèdent l’élection présidentielle de 2026 seront décisifs. Le processus de transition politique doit être anticipé, encadré et accompagné dans un esprit de continuité républicaine et d’inclusion. La démocratie béninoise, bien que consolidée sur certains aspects, demeure un chantier exigeant, qui requiert des espaces de concertation, des mécanismes de confiance et une attention constante aux signaux faibles.

Repenser la fête nationale: de la célébration à la culture civique


Au-delà des rituels patriotiques, les fêtes nationales pourraient être repensées comme des moments d’éducation civique, de réflexion collective et de valorisation culturelle. Loin des simples défilés et discours, le 1er août pourrait devenir un rendez-vous de mémoire active et partagée, mobilisant toute la société.

Cette transformation implique une vision renouvelée de la politique culturelle et mémorielle. Le Bénin dispose d’un vivier intellectuel, artistique, diasporique et institutionnel capable de porter cette ambition. Des initiatives telles que la restitution des trésors royaux d’Abomey, la rénovation muséale ou l’émergence de médias alternatifs illustrent la vitalité des imaginaires sociaux. Il conviendrait de les inscrire durablement dans une politique publique intégrée.


Vers une mémoire civique partagée : quelques pistes d’action


À l’occasion de ce 65e anniversaire, il est essentiel d’envisager plusieurs axes stratégiques pour renforcer la cohésion nationale et la vitalité démocratique :
Créer un cadre national d’animation historique et civique autour du 1er août, réunissant institutions éducatives, culturelles et médiatiques, pour faire de cette date un rendez-vous structurant de transmission.

Encourager la production de contenus multilingues sur l’histoire contemporaine du Bénin, adaptés aux jeunes publics, valorisant le pluralisme culturel et linguistique.
Renforcer les mécanismes d’observation électorale indépendante et promouvoir un dialogue politique structuré, en vue d’une transition apaisée en 2026.
Reconnaître la culture comme un pilier transversal des politiques publiques, liée à la mémoire, à l’éducation et à la participation citoyenne.
Un rendez-vous avec l’avenir

Les 65 ans de l’indépendance du Bénin ne sauraient être une simple célébration du passé. Ils représentent une opportunité précieuse pour penser l’avenir. Entre héritage, exigence citoyenne et horizon démocratique, cette date nous invite à renforcer les bases du vivre-ensemble, à cultiver une mémoire active et inclusive, et à préparer avec lucidité les prochaines étapes de notre maturité politique.
C’est dans cet équilibre exigeant que le Bénin pourra poursuivre sa voie, fidèle à ses idéaux fondateurs, tout en relevant les défis contemporains avec sérénité et ambition.

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