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Tribune de Jean-Claude Yevi :Restituer nos langues, réveiller nos âmes : l’Adja comme symbole d’une dignité plurilingue

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Le 1er août 2025, au cœur des célébrations officielles du 65e anniversaire de l’indépendance du Bénin, un moment rare a électrisé la scène publique : l’artiste Anna Fambo, accompagnée de son groupe, a interprété l’hymne national en langue Adja. Ce geste fort, inattendu et émouvant, a suscité un élan de fierté nationale et un vaste débat citoyen.

Car chanter notre hymne dans une langue nationale ne relève pas du folklore. C’est un acte de mémoire, de reconnaissance et de projection. C’est rappeler que nos langues maternelles l’Adja, le Fon, le Yoruba, le Baatonou, le Dendi, le Bariba, le Ditamari, le Lokpa et tant d’autres ne sont pas des vestiges du passé, mais les matrices vivantes de notre avenir. Elles sont porteuses de savoirs, de récits, de spiritualités, de visions du monde. Elles sont les socles invisibles mais puissants de notre identité collective.

Prenons l’exemple de la langue Adja. Elle n’est pas seulement parlée au Sud-Ouest du Bénin. Elle est vécue. Elle transmet les proverbes de la sagesse populaire, les rituels familiaux, les chants sacrés, les récits de la terre, les codes de l’honneur. Elle relie les générations, structure les communautés, façonne l’imaginaire. Elle est mémoire, dignité et résistance. Elle est culture en mouvement.

Et pourtant, comme tant d’autres langues nationales, l’Adja est menacée. Le français, langue de l’école, de l’administration, des examens règne en maître dans les sphères officielles. Nos langues locales, elles, sont souvent cantonnées à la sphère privée, perçues comme inutiles ou arriérées . Cette hiérarchisation linguistique, héritée de la colonisation, continue d’opérer une violence symbolique et éducative sourde mais persistante.

Pourtant, les preuves sont là. Dans mon travail de recherche sur la préservation de la langue Adja par les médias, mené entre le Bénin et l’Allemagne, j’ai pu constater que l’usage de la langue maternelle améliore l’apprentissage scolaire, renforce l’estime de soi, et développe une conscience citoyenne ancrée. Loin d’être un handicap, les langues nationales sont des leviers d’émancipation.

Mieux encore : les radios locales, les réseaux sociaux, les plateformes numériques, les podcasts, les chaînes communautaires représentent aujourd’hui des outils formidables pour redonner une place centrale à ces langues dans l’espace public. Plusieurs émissions en langue Adja existent déjà dans des radios communautaires. Mais elles restent marginales, peu financées, peu institutionnalisées. Il manque une vision, une volonté, une politique.

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Il est temps de sortir du symbolique pour entrer dans le structurel. Pourquoi ne pas généraliser les cours bilingues dans les écoles ? Soutenir la création littéraire, radiophonique et audiovisuelle dans nos langues ? Former des enseignants et des journalistes multilingues ? Créer une Académie béninoise des langues nationales ? Intégrer nos langues dans les cérémonies républicaines ?

L’émotion ressentie le 1er août dernier ne doit pas rester sans suite. Ce que nous avons vu avec l’hymne en Adja n’est pas un simple exploit artistique. C’est un signal. Un point de bascule possible. Une preuve que nos langues peuvent être porteuses de prestige, d’unité et de modernité.

Une invitation à redéfinir notre patriotisme à la lumière du plurilinguisme.

Restituer nos langues, ce n’est pas seulement une question de mots. C’est une question de dignité, de justice, de souveraineté. C’est refuser que nos enfants grandissent dans l’idée que leur langue maternelle serait inférieure. C’est affirmer haut et fort que toute langue est une vision du monde et que le Bénin a tout à gagner à faire vivre les siennes.

Alors oui, chantons, écrivons, enseignons, administrons et rêvons aussi en Adja, en Fon, en Yoruba, en Baatonou… Parce qu’un pays qui parle toutes ses langues est un pays qui s’écoute, qui se comprend, et qui s’élève.

Par Jean-Claude Yevi, Expert en communication Interculturelle et multlinguisme

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