
Tribune de Jean-Claude Yevi. Du conflit à la découverte mutuelle : Béninois et Gabonais à l’ère des réseaux sociaux
À travers une bataille d’images sur les réseaux sociaux, les tensions entre Béninois et Gabonais ont pris une tournure inattendue : elles ont révélé un patriotisme numérique naissant, capable de transformer les conflits en curiosité réciproque et en vitrine continentale.

À Libreville comme à Cotonou, les rumeurs de tensions auraient pu s’enliser dans la spirale classique : méfiance, repli, ressentiment. Mais quelque chose d’inédit s’est produit. Là où l’on attendait insultes et invectives, les citoyens des deux pays ont dégainé des images.
Non pas des images de violence, mais des images de fierté. Marchés modernes, routes impeccables, places publiques flambant neuves, statues monumentales, cités administratives : la querelle a glissé du terrain politique vers celui des réseaux sociaux.

Et c’est une bataille étonnante. Béninois et Gabonais s’affrontent à coups de photos, de vidéos, de comparaisons passionnées. Ici, on montre la modernité du marché de Dantokpa rénové et transformé en marché de gros d’Akassato; là, on répond par l’élégance des boulevards de Libreville. Chaque « like », chaque « partage » devient une revendication de dignité nationale.
Mais au-delà de la compétition, un fait nouveau s’impose : jamais les Béninois n’avaient autant découvert le Gabon. Jamais les Gabonais n’avaient autant exploré le Bénin, sans bouger de chez eux. Le patriotisme numérique, en voulant prouver sa supériorité, a paradoxalement ouvert une fenêtre de curiosité et de découverte mutuelle.
Cette dynamique dit beaucoup de nous. Oui, les tensions existent. Oui, les rancunes s’expriment. Mais elles cohabitent avec une autre réalité : nos peuples ont soif de reconnaissance, et ils veulent montrer au monde qu’ils bâtissent, qu’ils créent, qu’ils avancent. En d’autres termes, le conflit s’est transformé en vitrine. Et cette vitrine est un rappel puissant : l’Afrique n’est pas qu’un champ de crises, elle est aussi un espace de fiertés visibles, palpables, revendiquées.
Reste une question : que feront nos dirigeants de cette énergie ? La laisseront-ils se perdre dans la compétition stérile, dans la comparaison infinie des qui a la plus belle route? Ou sauront-ils la transformer en levier de coopération, en moteur de tourisme, en accélérateur d’intégration ? Car derrière chaque photo postée, derrière chaque vidéo partagée, il y a une certitude : nous nous regardons, nous nous jugeons, mais surtout, nous nous découvrons.
Et si c’était là, paradoxalement, le début d’une nouvelle diplomatie ? Une diplomatie née d’un clic, d’un partage, d’un like. Une diplomatie populaire, numérique, vibrante, qui nous rappelle que les frontières peuvent séparer mais que les images, elles, rassemblent.
