Une fois n’est pas coutume. Pour l’une des rares apparitions dans un format «Conférence de presse » avec la presse nationale, le Président de la République Patrice Talon a voulu s’ouvrir aux questions sans filtre. L’homme est apparu très confiant dans la salle des ambassadeurs à la Présidence de la République. Patrice Talon a cassé les codes habituels. Dans son rôle de conférencier, le Président de la République n’avait aucun document préparé. Pas un seul petit papier au pupitre. Après quelques mots de civilité, le Président lâche la phrase « je suis à votre disposition» qui ouvre l’épisode des questions-réponses.
Sur l’actualité politique nationale, Patrice Talon n’a pas esquivé la question de la révision de la constitution. Le sujet agite depuis quelques semaines l’opinion publique. Assan Seibou, président du groupe parlementaire Bloc républicain, parti de la mouvance présidentielle, a en effet déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi portant révision de la constitution. Pour l’essentiel, cette proposition vise à inverser l’ordre d’organisation des élections dans le sens où la présidentielle se tiendra avant les législatives et communales en 2026. Cette loi préserve les fondamentaux ne pouvant faire objet de révision constitutionnelle et verrouille la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux.
La proposition du député fait suite à une décision de la Cour constitutionnelle demandant à l’Assemblée Nationale de modifier le code électoral à l’effet de corriger une rupture d’égalité entre les parrains des candidats à l’élection présidentielle en 2026. Mais la révision de la constitution a du mal à passer. Le Président Patrice Talon est soupçonné d’être l’instigateur de cette proposition de loi portant révision constitutionnelle afin de s’offrir un 3e mandat. Non, répond à nouveau Patrice Talon devant la presse nationale hier jeudi 8 février 2024. « La question du 3e mandat est derrière nous (…) Le Bénin fait son chemin », a fait savoir le Président de la République qui rappelle qu’à son initiative en 2019, la révision de la constitution a prescrit que ‘‘nul ne peut faire plus de deux mandats présidentiels de sa vie ».
Pour Patrice Talon, avec cette phrase, que la révision entraîne une nouvelle République ou qu’il s’agisse d’une nouvelle constitution, tant que cette phrase figurera dans la constitution, personne ne pourra faire un 3e mandat au Bénin. «Dans la loi déposée par le député (Assan Seibou, Ndlr), je n’ai pas lu qu’on a extirpé cette phrase de la constitution », martèle Patrice Talon pour qui le sujet du 3e mandat est une polémique agitée par les acteurs politiques pour occuper l’opinion. «Je ne veux pas qu’on touche à une seule virgule de la constitution. Je l’ai dit aux députés de la mouvance. Je ne demande aucune révision », a déclaré le Président Patrice Talon visiblement fatigué du débat suspicieux qui entoure la révision de la constitution.
Il s’agit là d’un camouflet pour les députés et autres partisans du pouvoir engagés dans un élan de révision à pas forcés de la constitution. Le Chef de l’État dit ne pas vouloir d’une révision constitutionnelle. Avec cette position tranchée, le patron de la mouvance vient de honnir les députés révisionnistes. Pour les mouvanciers qui voulaient faire porter le chapeau d’une révision constitutionnelle au chef de l’État, la honte devient désormais un poids lourd à supporter. «Je n’ai besoin de personne pour assurer mes arrières (…)», a lâché Patrice Talon qui fait savoir qu’il n’est pas à la recherche d’un successeur qui lui sera loyal.
Le prochain Président de la République devra être loyal envers le peuple béninois, a estimé Patrice Talon. Pour le Président Talon, il y a une »erreur matérielle » dans les calendriers retenus pour rythmer l’organisation des élections. Les dates se chevauchent et en l’état, pour des raisons »éthiques » et de »légitimité », il n’est pas bien que des élus ayant perdu des élections puissent continuer par parrainer des candidats à l’élection présidentielle en 2026 alors que leurs successeurs auront été déjà élus même si ceux-ci ne seraient pas déjà installés.
Pour Patrice Talon, dans l’esprit de la constitution révisée en 2019, ce sont les élus de 2026 qui peuvent parrainer les candidats à l’élection présidentielle. Toute autre option qui permettrait aux députés et aux maires actuels de continuer par avoir la légalité et la légitimité pour parrainer induirait systématiquement l’organisation de l’élection présidentielle avant celles législatives et communales en 2026. Le président de la République a fini par inviter les députés à procéder aux modifications techniques des lois dans le seul intérêt du peuple. La mise en retraite d’office des FDSDeux autres sujets ont été abordés par le Président de la République lors de sa conférence de presse. Il s’agit de la mise en retraite d’office de dizaines d’agents des Forces de défense et de sécurité (Fds) puis de la création d’un collège de ministres conseillers.
Face aux journalistes, Patrice Talon explique qu’au Bénin «la pyramide des Fds est inversée et que le nombre de personnels de Commandement dépasse le nombre de personnes à commander». Face aux défis sécuritaires, dira-t-il, le Bénin a fait l’option de remettre en place la norme des ratios normaux en élargissant la base de la pyramide avec des recrutements massifs de jeunes agents tout en rétrécissant le sommet de la pyramide.
Patrice Talon soutient que la mise en retraite d’office n’entraîne aucune chute de revenus sur les deux ans. Les concernés continueront par toucher une pension en plus d’une prime compensatoire qui leur permet de garder un revenu mensuel de même niveau que les salaires qu’ils percevaient en fonction. « Je ne connais aucun État qui ait fait ça. C’est une mesure d’accompagnement », a fait savoir le Chef de l’État. Le collège de ministres conseillers permettra aux techniciens et autres ayant »la tête dans le guidon » dans l’appareil de gouvernance d’avoir de l’appui. Pour Patrice Talon, les ministres ont beaucoup de choses à gérer et n’ont souvent pas le temps d’expliquer et d’assumer la vision politique auprès des populations. Les ministres conseillers vont ainsi apporter un appui dans l’élaboration des politiques publiques et s’assurer que la vision politique est connue des populations.
Le Bénin doit poursuivre sa marche vers le développement. Pour cela, Patrice Talon est prêt à payer le prix du sacrifice qui s’impose. «J’ai aussi envie de plaire, de séduire et d’être aimé au lieu de passer pour le méchant Président. Mais que Dieu continue de me donner la force de faire le sale boulot afin que demain qu’il lui plaise que mes compatriotes disent que malgré les difficultés j’ai essayé de faire faire avancer le pays ( …)».
Talon pour une CEDEAO des peuples
L’actualité sous-régionale n’a pas été occultée lors de la conférence de presse du Chef de l’État. Patrice Talon regrette l’intention affichée par le Niger, le Burkina Faso et le Mali de sortir de la CEDEAO. Pour lui, il est impératif de travailler à préserver l’essentiel, c’est-à-dire, sauvegarder la CEDEAO des peuples. Le Président béninois dit avoir téléphoné à l’un des trois chefs de la junte militaire au pouvoir pour exprimer son inquiétude par rapport à ce départ annoncé. Selon le Président Talon, l’heure est venue de plaider pour la levée des sanctions prises par la CEDEAO à l’encontre des trois pays.
«Les sanctions ne sont pas faites pour durer dans le temps. Nous sommes les premiers à vouloir que les sanctions s’arrêtent. S’il faut arriver à la division des peuples, il faut tout laisser tomber, faire la paix entre les organes de la CEDEAO et les dirigeants des pays concernés pour préserver la paix entre les peuples », a déclaré Patrice Talon. Le Président béninois s’engage à porter ce plaidoyer au sein de la Conférence des Chefs d’État de la CEDEAO pour consolider les liens entre les peuples de la région.
Brivaël Klokpê Sogbovi