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Exil des jeunes béninois, une fuite des cerveaux ?: La Tribune de Jean-Claude Yévi, Chercheur Universitaire

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La récente réaction de l’ambassade des États-Unis concernant la présence d’étudiants béninois en situation irrégulière sur le sol américain relance une fois encore le débat sur la fuite des cerveaux. Mais selon Jean-Claude Yévi, chercheur universitaire en Culture, Communication et Management interculturel, le véritable problème se situe ailleurs : il s’agit d’un abandon systémique des talents par leur propre pays.

Dans une tribune intitulée « Ce n’est pas une fuite des cerveaux. C’est un exil par abandon », l’universitaire invite à dépasser les analyses simplistes du phénomène migratoire. Il plaide pour une prise de conscience nationale, estimant que le départ massif des jeunes diplômés est moins une fuite qu’un cri silencieux face à l’absence de perspectives concrètes au Bénin.

Sa tribune dénonce en particulier le manque de politiques publiques ambitieuses en faveur de la valorisation du capital humain formé à l’étranger. Pour lui, l’exil de ces compétences relève moins d’un choix personnel que d’un renoncement collectif à offrir un avenir viable aux jeunes talents du pays.

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« Ce n’est pas une fuite des cerveaux. C’est un exil par abandon »

Par Jean-Claude Yevi

Pourquoi les jeunes diplômés béninois préfèrent l’irrégularité à l’étranger à l’impasse chez eux. Les étudiants béninois en situation irrégulière aux États-Unis ne fuient pas leur pays. Ils fuient un vide. Celui laissé par l’incapacité de nos gouvernants à transformer les talents en richesses pour la nation.

Un chiffre, un malaise.

En novembre dernier, le Service de l’immigration et des douanes des États-Unis (ICE) publiait un rapport : plus de 1,4 million de personnes en situation irrégulière vivent sur le sol américain. Parmi elles, 102 sont des ressortissants béninois. Ce chiffre, apparemment insignifiant dans l’océan migratoire mondial, a suffi à provoquer une réaction officielle de l’ambassade américaine à Cotonou. Réaction qu’on peut lire sur ses canaux digitaux ce 27 Mai 2025. Le motif ? Des étudiants béninois, après leurs études, restent aux États-Unis malgré l’expiration de leur visa. Faut-il blâmer ces jeunes pour cette « irrégularité » ? Ou faut-il se demander pourquoi ils préfèrent risquer l’illégalité à l’étranger plutôt que de rentrer chez eux ?

Le vrai problème n’est pas l’Amérique. Il est ici.

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Le cas béninois n’est que le miroir d’un malaise plus profond : le désespoir face à un pays incapable de proposer des perspectives à sa jeunesse formée à l’étranger. Combien de jeunes diplômés reviennent au Bénin pleins d’espoir pour se heurter à une réalité sans issue : chômage endémique, népotisme institutionnalisé, manque d’infrastructures, absence de financements, climat d’entrepreneuriat étouffé par les lourdeurs administratives ?

Ce ne sont pas les visas qui manquent. Ce sont les visions.

Les jeunes qui quittent le pays ne cherchent pas seulement à partir. Ils cherchent à exister.

Une génération sacrifiée.

Depuis des décennies, on entend les dirigeants proclamer que « la jeunesse est l’avenir ». Mais à l’épreuve des faits, cette jeunesse est laissée à elle-même. Elle est financée pour aller apprendre, mais oubliée quand elle revient. Ce désintérêt est un gâchis économique, humain, stratégique. Car un pays qui n’emploie pas ses compétences formées ailleurs est un pays qui travaille pour les autres. Aujourd’hui, les grandes puissances recrutent à plein régime nos ingénieurs, médecins, chercheurs, et innovateurs formés sur nos fonds publics ou familiaux. Et nous regardons, impuissants, pendant que nos universités locales se dégradent et que notre jeunesse se décourage.

Sanctionner ? Non. Se remettre en question.

L’ambassade américaine parle de « sanctions ». Mais elles ne serviront à rien tant que la cause racine n’est pas traitée. Il ne faut pas punir les symptômes : il faut soigner la maladie. Et la maladie ici, c’est l’incapacité de nos États à construire un écosystème attractif pour leurs propres enfants. Créer des opportunités locales, ce n’est pas un luxe. C’est une exigence nationale. Valoriser nos diplômés, ce n’est pas leur faire une faveur. C’est un devoir républicain.

Que faire ? Une volonté politique claire.

Ce que réclame cette situation, ce n’est pas plus de contrôles. C’est une politique nationale de retour et d’insertion des compétences. Des guichets uniques pour les diplômés de la diaspora. Des incitations à entreprendre. Des réseaux d’accompagnement. Des projets portés par des jeunes, et non confisqués par les anciens. Tant que ces conditions ne seront pas réunies, nos jeunes continueront de partir ou de rester ailleurs. Et ce ne sera pas une fuite. Ce sera un exil par abandon.

À propos de l’auteur

Jean-Claude Yevi est chercheur Universitaire en Culture, Communication et Management Interculturel. Ses travaux et prises de position s’intéressent aux dynamiques migratoires, à la circulation des savoirs, et à la valorisation du capital humain africain. À la croisée des sciences sociales et des enjeux de développement, il milite pour une Afrique qui crée les conditions du retour et de l’impact pour sa jeunesse formée à l’international.

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