RAM Grand

Nigéria : des inondations meurtrières laissent des familles dans un profond deuil

0 840

‎Adamu Yusuf vit désormais avec une plaie béante dans le cœur. Cet homme de 36 ans a vu neuf membres de sa famille être engloutis par les eaux à Tiffin Maza, l’une des localités les plus gravement atteintes par les récentes inondations qui ont ravagé la région centre-nord du Nigeria.

‎Son épouse et leur nourrisson, revenus à Mokwa la veille du drame après un séjour chez ses beaux-parents, comptent parmi les victimes. Le drame s’est produit à l’aube, jeudi, dans l’État du Niger.

‎« Elle m’a tiré du sommeil dès que l’eau a envahi notre maison. J’ai réuni la famille, demandant à chacun de rester groupé. Mais en sortant, nous avons été submergés », relate-t-il. Séparé de ses proches dans la panique, il n’a pu les secourir. « J’ai survécu uniquement parce que je sais nager. C’est une grâce divine », confie-t-il avec émotion.

‎Le bilan officiel ne cesse de s’alourdir : plus de 200 morts recensés dimanche, contre 110 deux jours plus tôt. Près de 500 personnes manquent toujours à l’appel. Un responsable local a confié à la BBC que les recherches ont été interrompues, les chances de retrouver des survivants étant jugées infimes.

‎Mokwa, où s’est produit le drame, n’avait pas connu un tel désastre depuis des décennies. Samedi, l’atmosphère à Tiffin Maza était lourde de douleur. Les ruines témoignaient du choc : vêtements épars, matelas imbibés, tôles froissées… des vestiges silencieux de centaines d’habitations disparues.

‎Des maisons à moitié démolies et des toits envolés dessinent aujourd’hui un paysage de désolation. Debout sur les dalles qui marquaient l’emplacement de sa chambre, Adamu observe le néant. « J’ai perdu tout ce que j’avais, mais la disparition de ma famille est la pire tragédie. Je n’ai plus que cet habit que m’a offert un ami », dit-il, résigné.

‎Un seul corps a été retrouvé. Pour les autres, il n’a plus d’espoir.

Banniere carrée


‎Isa Muhammed, jeune bachelier de 19 ans, n’a pas réussi à contenir ses larmes depuis qu’il a appris la disparition de son ancien professeur et de huit membres de sa famille. « Deux d’entre eux ont été retrouvés morts, dont son bébé. Sa femme est morte écrasée par un mur. Lui, ses enfants, sa sœur et d’autres proches sont introuvables », confie-t-il.

‎Isa a aussi perdu un oncle très cher. « Il m’a élevé après la mort de mon père. Il m’enseignait la valeur du savoir. Je n’ai pas dormi depuis ce jour », dit-il, la voix brisée.

‎Alors que les eaux ont commencé à refluer, les habitants sont revenus sur les lieux pour aider aux fouilles et soutenir les familles endeuillées. Selon certains d’entre eux, le niveau de l’eau atteignait parfois plus de deux mètres.

‎Une odeur insoutenable plane encore sur les lieux, laissant craindre la présence de corps sous les épaisseurs de boue. Les recherches se poursuivent pour offrir une sépulture digne aux défunts.

‎« Je n’ai jamais vu pareille inondation, mais je bénis le ciel d’avoir été épargnée », affirme Ramat Sulaiman, 65 ans. Sa maison a été complètement emportée, la laissant avec sa famille sans toit.

‎Ramat raconte une scène déchirante : « Cent enfants dormaient dans une école coranique non loin d’ici. Aucun n’a survécu. Leurs cris résonnent encore dans ma tête. Le bâtiment a cédé sous la pression. »

‎Son fils, Saliu, a tout perdu. Les bénéfices de ses ventes agricoles – environ 1 500 dollars – sont partis avec les flots. « J’ai pensé retourner dans la pièce, mais le courant était trop fort », explique-t-il.

‎Onze sacs d’arachides et sept de haricots ont aussi été emportés. « Ma femme et moi n’avons rien pu sauver. Mais au moins, nous sommes encore en vie. L’eau charriait des cadavres. Je fais des cauchemars depuis. Je suis profondément marqué. »

‎Les rumeurs d’un barrage cédé n’ont pas été confirmées par les autorités. Toutefois, selon le chef local de Mokwa, il existe un réservoir qui libère de l’eau en période de pluie, mais jamais à une telle intensité.

‎Certains villageois rejettent l’hypothèse des fortes pluies. « Il n’avait pas plu quand l’eau est arrivée. Elle a surgi d’un coup, avec une force inimaginable », affirme un habitant. D’autres évoquent un phénomène inexplicable, voire surnaturel.

‎Pendant ce temps, les autorités distribuent des vivres et relogent les déplacés. L’agence météorologique prévoit une saison pluvieuse qui pourrait s’étendre sur plus de 200 jours dans le centre du pays.

‎Début mai, le gouvernement a lancé une campagne pour sensibiliser aux risques d’inondation. Trente États du pays sont en alerte, dont celui du Niger.

‎Malgré l’élan de solidarité, ceux qui ont tout perdu, comme Adamu, savent qu’aucun secours ne pourra combler le vide laissé par leurs proches. « J’accepte le destin. Mais la douleur, elle, ne s’effacera jamais », murmure-t-il.

‎Edouard HOUNTONDJI (Stg)

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

error: Content is protected !!