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Peines judiciaires dans des dossiers complexes : Dans l’enfer des prisons, des agents de l’État, les grands oubliés

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Commis au service de l’État dans divers secteurs névralgiques, ils sont aujourd’hui déchus, moqués et habillés en  »monstres ». Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Dans le secret du tréfonds des cœurs obscurs de l’homme ondoyant, ces fonctionnaires débarqués de leurs bureaux pour les cours, tribunaux et les établissements pénitentiaires font objets de  »railleries ». Leur chute a libéré des places longtemps convoitées par des profils concurrents. Ces derniers sont depuis, on s’imagine, assis dans les fauteuils laissés par leurs prédécesseurs durement frappés par les sentences du pouvoir judiciaire. La perte d’un poste et de ses privilèges est déjà un poids. La perte de la liberté l’est encore plus. Mais l’indifférence et l’oubli étalent le lit de l’enfer pour ces nombreux fonctionnaires de l’État jetés en prison pour des  »impairs » à eux imputés. Tandis que certains détenus dits « politiques » attirent quotidiennement l’attention des partis politiques, des médias ou des organisations de la société civile, ces fonctionnaires de l’État restent dans l’ombre. Des cadres des Administrations publique et parapublique, épinglés dans des affaires complexes à la frontière du judiciaire et de l’administratif doivent non seulement supporter le poids d’une privation de liberté mais supporter l’oubli des faiseurs d’opinion. Les lourdes peines infligées à ces fonctionnaires par les juridictions et notamment par la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET) suscitent certes, l’émoi pour un temps dans l’opinion. Mais après, silence radio. Les appels à la clémence semblent sélectifs. Entre  »prisonniers politiques » et  »fonctionnaires prisonniers », les premiers sont mieux lotis que les seconds dans le marché des appels à la clémence. Et pourtant, les cadres déchus sont répertoriés partout. Directeurs Généraux, Directeurs Administratifs et Financiers (DAF), Personnes Responsables des Marchés Publics (PRMP), directeurs techniques, experts comptables et financiers… Aucun secteur ou institution n’a été épargnée. Aujourd’hui, ils sont plusieurs dizaines à purger de lourdes peines gonflant ainsi l’effectif déjà pléthorique des détenus dans nos prisons à la charge de l’Etat.

Sont-ils tous blâmables ?

La justice souveraine a fait son travail. Des peines les unes aussi lourdes que les autres ont été prononcées contre ces fonctionnaires autrefois commis au service de l’État. Mais sont-ils blâmables à l’infini ? Pouvons-nous, sans pour autant chercher à les blanchir, trouver des éléments objectifs pour légitimer un appel à compassion ou à la clémence ? Bien sûr que oui. Ces hommes et femmes, engagés au service de l’État, se sont retrouvés parfois pris dans des procédures qui les dépassent, entre exécution d’ordres, pression hiérarchique et environnement institutionnel exigeant. Quelques figures connues comme David Babalola (ex-Dg de la Soneb), Raymond Adekambi (Pdg de Agetip-Benin), Valère Houssou (ex-Dg du Fnda), Éric Yetongnon (ex-Dncmp) ou encore Florent Agbo (ex-Directeur de l’immigration) sont aujourd’hui condamnés à de lourdes peines allant jusqu’à 10 ans. Ils ne sont ni militants politiques ni figures de l’opposition. Ils ont été des administratifs loyaux reconnus comme tels ou encore des professionnels du secteur privé au parcours respecté. Les condamnations ont toujours suscité de vives émotions. Elles ont aussi suscité des questionnements sur les preuves matérielles, éléments pourtant déterminants dans l’énoncé d’une sentence judiciaire. Hélas, les cadres sont jetés à la queue leu leu derrière les barreaux. Ce phénomène d’emprisonnement massif des cadres interpelle à plus d’un titre. Il appelle à réfléchir sur les équilibres entre rigueur judiciaire et équité, entre lutte contre l’impunité et humanité. Dans certains cas, les faits reprochés relèvent plus d’erreurs de gestion que de comportements frauduleux volontaires. Et dans une administration parfois complexe comme celle du Bénin, la frontière est mince entre faute professionnelle et responsabilité pénale. Que choisir ? Punir pour punir ? Ou raisonner les punitions proportionnellement à la nature et aux motivations des fautes imputées aux fonctionnaires de l’État ?

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L’État, un perdant ?

L’emprisonnement massif des cadres de l’administration n’impacte-t-il pas l’État ? Le pouvoir judiciaire agit et sanctionne. Les lourdes peines envoient des messages de dissuasion aux autres fonctionnaires. Conséquence, des projets sont ralentis ou bloqués, l’Administration est tétanisée par la peur avec des cadres hésitant à prendre des initiatives, la démotivation est croissante chez les agents publics dans un climat d’incertitude qui affecte l’attractivité du pays auprès des partenaires techniques et financiers. Autant de faits qui résultent de la politique pénale générique qui ne fait pas du  »au cas par cas » dans le traitement des dossiers complexes dans lesquels des fonctionnaires sont cités. La privation de liberté ne devrait pas être la réponse systématique, surtout lorsqu’il existe des alternatives comme les sanctions disciplinaires, les suspensions, les limogeages ou les réparations civiles. Au Bénin, un seul fonctionnaire qui travaille représente à lui seul  »la banque » de tout un village. Pour les équilibres sociaux et la cohésion, n’est-il pas temps que les autorités judiciaires aient plus de clémence dans le traitement des dossiers administratifs ? Le premier magistrat du pays qu’est le Chef de l’État, ne doit-il pas aussi fait parler son cœur de père de la nation à travers la grâce présidentielle ou d’autres voies de clémence ? Le Bénin peut renouer avec l’esprit de justice réparatrice, en tenant compte des contextes et des circonstances atténuantes. C’est aussi une manière d’apaiser, de réconcilier et de reconstruire une administration plus forte et plus productive. Et une vérité survivra à tous les pouvoirs : tous les hauts fonctionnaires et cadres qui croupissent dans les prisons ne sont pas des délinquants ou des criminels. Redonner espoir à ceux dont l’honneur et la dignité peuvent être restaurés, c’est faire preuve de grandeur et d’humanité. Faire de la prison une exception et des mécanismes alternatifs de sanction une priorité sonnera comme un choix de raison dans un pays où les cadres ont encore tout à apporter à l’œuvre de construction en cours.

Brivaël Klokpê Sogbovi

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