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Langues nationales et gouvernance: Jean-Claude Yévi alerte, sans les langues locales, la démocratie reste incomplète

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Le Bénin compte plus de soixante langues, mais le français reste dominant dans les espaces officiels. Pour Jean-Claude Yévi, chercheur universitaire, cette situation freine la participation citoyenne. Dans une tribune, il propose de faire des langues locales un outil de justice sociale et de renforcement démocratique.

Tribune : Au-delà du français : le multilinguisme, levier de participation citoyenne au Bénin

Au Bénin, la richesse linguistique est une réalité incontournable

Plus de soixante langues locales se côtoient sur l’ensemble du territoire, chacune porteuse d’une identité, d’une culture et d’une histoire singulières. Pourtant, dans le champ politique, c’est le français, langue héritée de la colonisation, qui domine presque exclusivement la communication officielle. Ce décalage entre la diversité linguistique du pays et la langue unique des discours politiques pose un défi majeur à la démocratie béninoise.

Comment garantir une participation citoyenne pleine et entière si une large part de la population ne peut ni comprendre ni s’exprimer dans la langue qui lui est familière ? Le multilinguisme ne doit plus
être perçu comme un obstacle logistique, mais comme un levier fondamental pour ouvrir le débat démocratique, renforcer la cohésion sociale et rendre la politique accessible à toutes et tous.

Dans cet édito, je propose de réfléchir aux enjeux du multilinguisme dans la communication politique
au Bénin, en soulignant son rôle central dans l’intégration sociale et la participation citoyenne. Il s’agit
d’une opportunité pour faire émerger une démocratie véritablement inclusive, qui parle toutes les
langues du peuple.

Le multilinguisme, plus qu’une réalité culturelle, un enjeu politique majeur

Le sociolinguiste Joshua Fishman (1991) rappelle que la langue est un pilier du capital social et un vecteur essentiel d’identité communautaire. Dans le contexte béninois, ignorer la multiplicité des langues locales dans la sphère politique revient à exclure une part substantielle de la population du débat public, creusant ainsi les inégalités sociales et politiques.

Milton J. Bennett (1993), spécialiste de la communication interculturelle, insiste sur l’importance de reconnaître et valoriser la diversité linguistique pour favoriser des relations sociales fondées sur la
confiance et la compréhension mutuelle. Cette reconnaissance est une condition sine qua non pour une intégration sociale harmonieuse, dans un pays où les identités linguistiques façonnent les appartenances et les modes d’expression.

Le multilinguisme, un levier pour élargir la participation citoyenne

La théorie de l’agir communicationnel de Jürgen Habermas (1989) pose les bases d’une démocratie où la participation doit être accessible à tous, dans un espace public inclusif. La langue est ici un vecteur clé : sans accès à l’information et aux débats dans sa propre langue, le citoyen est privé d’une pleine capacité d’agir dans la société.

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Au Bénin, la communication politique majoritairement francophone restreint cette accessibilité. En intégrant les langues locales dans les discours, les consultations et les débats, on élargit la sphère démocratique, on légitime les processus politiques et on permet une expression plus authentique et plus diverse des aspirations populaires.

Défis et opportunités dans la mise en œuvre du multilinguisme politique

Les obstacles ne sont pas négligeables : traduction, formation des communicateurs, moyens techniques et financiers sont nécessaires pour déployer une communication véritablement multilingue. Cependant, ces défis sont largement surmontables avec une volonté politique affirmée et des stratégies
adaptées.

Les radios communautaires, par exemple, jouent déjà un rôle crucial en diffusant des programmes en langues locales, contribuant à sensibiliser et informer dans des contextes souvent éloignés des centres urbains. Par ailleurs, les technologies numériques ouvrent de nouvelles voies : réseaux sociaux, plateformes de messagerie, vidéos en ligne peuvent multiplier les contenus accessibles dans plusieurs langues.

Planification linguistique démocratique : vers une politique inclusive

François Grin (2006) met en avant l’importance d’une planification linguistique démocratique, visant à assurer à toutes les langues une place dans l’espace public. Appliquée au Bénin, une telle politique permettrait de réduire les inégalités d’accès à l’information, de renforcer la cohésion sociale et de favoriser une participation politique plus large.

Enfin, la justice linguistique est un droit fondamental, comme l’affirme la sociolinguiste Tove Skutnabb-Kangas. Ne pas intégrer le multilinguisme dans la communication politique, c’est prendre le risque de marginaliser une partie de la population et d’affaiblir la démocratie.

Oser la diversité linguistique pour une démocratie renouvelée

Le multilinguisme au Bénin n’est pas un simple défi technique, mais une formidable opportunité
politique. Faire de la langue un levier d’intégration sociale et de participation citoyenne, c’est ouvrir
la démocratie à toutes ses composantes, c’est offrir à chaque voix la possibilité d’être entendue et comprise.

L’avenir démocratique du Bénin passe par la valorisation de toutes ses langues, car c’est dans cette
diversité que réside la force d’une société unie, juste et pleinement participative.

À propos de l’auteur

Jean-Claude Yevi, expert en communication multilingue et interculturelle, spécialisé dans
les dynamiques sociopolitiques du Bénin et de l’Afrique de l’Ouest. Il travaille à promouvoir l’inclusion linguistique comme levier d’intégration sociale et de participation citoyenne dans les
processus démocratiques.

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