Alors que partout en Afrique, les peuples remettent les pendules à l’heure de mille manières afin de retrouver la dignité dans la liberté avec le requiem des régimes dictatoriaux ou des régimes pseudo démocratiques, il y a encore des hommes forts qui tiennent coûte que coûte à asservir les populations. C’est le cas du Togo où règne en maître depuis 1967 la famille Gnassingbé.
Le père Eyadéma Gnassingbé a gouverné sans partage entre 1967 et 2005. Le sombre bilan de feu Eyadéma Gnassingbé notamment en ce qui concerne les droits de l’homme et la démocratie reste encore vif dans les consciences des Togolais. Martyrisé, torturé, livré à la famine, privé de liberté, le peuple togolais traîne encore les séquelles douloureuses de la gouvernance terrorisante de feu Eyadéma Gnassingbé. Après les échecs systématiques des actions visant l’alternance pacifique sur l’autel des répressions les plus sanglantes, la mort du Président Eyadéma Gnassingbé survenue en 2005 avait ouvert une fenêtre d’espoir chez les Togolais qui refusent de se résigner à subir les affres humiliantes d’une oppression d’État policier.
Mais très vite, cette lueur d’espoir va s’estomper et la fenêtre sera refermée assez vite avec un coup de force institutionnel qui sera habillé plus tard par une élection présidentielle pipée d’avance. Faure Gnassingbé venait ainsi d’être propulsé dans le siège du pouvoir présidentiel par le système Gnassingbé. Du père au fils, le pouvoir d’État est conservé dans le cercle de la famille Gnassingbé. Depuis 2005, la dynastie Gnassingbé est toujours là, gardée par un système qui a essaimé au fil des années.
L’oppression toujours en vogue
Du père au fils Gnassingbé, le régime politique a-t-il eu la main tendre? Les pratiques ont-elles changé? Les Togolais ont-ils recouvré une once de dignité dans la liberté ? À toutes ces questions, la négation supplante les essais de réponses chez les Togolais de l’intérieur, ceux de la diaspora, mais aussi chez les observateurs avertis qui ont recours à des lunettes plus neutres pour diagnostiquer et évaluer la dynamique politique et électorale interne. Prisonniers de l’oppression, le peuple togolais fait face aux réalités d’un pouvoir fort aux pratiques identiques à celles propres à la monarchie où mieux à la dictature.
Les signaux sont au rouge en matière de respect des droits et des libertés. La propagande du discours officiel prend le dessus ; les médias et les contenus qui y sont diffusés sont censurés ; la liberté d’expression est en recul avec les menaces qui planent sur les écrivains, les intellectuels, les journalistes ; les voix critiques et les opposants sont poussés à l’exil ou sont jetés en prison suite à des procédures judiciaires dignes d’un feuilleton hollywoodien ; de graves soupçons de corruption pèsent sur les barons du pouvoir Gnassingbé; le système électoral est sujet à des questionnements relativement à la transparence, l’indépendance des organes et la fiabilité des résultats ; les sanglantes et meurtrières répressions des manifestations pacifiques pré ou post électorales alimentent des débats au sein des institutions chargées de l’évaluation de la démocratie, etc.
La question de la démocratie au Togo est suivie de près par les observateurs qui n’hésitent pas à déclasser le pays dans les notations. La longévité du régime Gnassingbé inquiète et remet sur scène l’impératif choix de limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique. Depuis 2005, Faure Gnassingbé est au pouvoir. Le Président a toujours réussi systématiquement à renouveler son mandat au terme des élections généralement contestées en raison d’une crise d’équité, de transparence, etc. La participation politique dans le pays bute contre les doutes exprimés quant à la crédibilité des résultats électoraux et l’impartialité des organes chargés d’organiser les élections.
Les sales pratiques continuent, l’espoir en ruine, mais il y a la résilience
Quand une dictature réussit à traverser les temps et les époques, elle a tendance à se normaliser comme une situation de fait. Les dictateurs ont ce flair de couvrir ce système de dictature d’artifices pour, soit endormir le peuple révolté, soit pousser celui-ci vers la résignation. Depuis 1967 à ce jour, presque 6 décennies se sont écoulées. Les Togolais n’ont connu que la dynastie Gnassingbé au pouvoir. Du père au fils, les pratiques répressives dénoncées n’ont pas laissé place à des choix de gouvernance démocratique.
C’est du moins ce qui ressort des confidences glaçantes des leaders d’opinion du pays. Depuis 2020, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) a suspendu une dizaine de médias (L’Alternative, Liberté, Fraternité…). Certains d’entre eux ont été interdits définitivement comme par exemple L’Indépendant Express qui doit sa réputation à la publication des dossiers d’enquête et d’investigation ébranlant le régime Gnassingbé.
Selon un rapport publié le 14 novembre 2022, le collectif Tournons la page (TLP) qui milite pour l’alternance démocratique et la bonne gouvernance en Afrique, estime qu’au moins 546 personnes ont été arrêtées pour leurs opinions entre août 2017 et octobre 2022. Le même rapport qui révèle une répression et une restriction de l’espace civique mentionne que la plupart des personnes arrêtées ont subi des actes de torture en détention avec au moins 11 décès signalés. Toujours sur la même période, TLP a dénombré 18 assassinats par les forces de défense et de sécurité, 10 suspensions de journaux, plusieurs coupures du réseau internet, des cas de personnes mises sur écoute téléphonique et 29 interdictions de manifestations publiques.
Au nom de la lutte contre le terrorisme et la COVID-19, le rapport indique que le pouvoir togolais a interdit ou réprimé une dizaine de manifestations en 2020 prévues par la société civile ou les partis politiques de l’opposition alors que les partis de la mouvance chantaient l’éloge du régime dans les rues. Vent debout contre ce qu’elle qualifie de »deux poids deux mesures », la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK) n’a plus le droit de la manifester depuis qu’elle s’est positionnée en force redoutable de contestation de l’élection présidentielle remportée dès le premier tour par Faure Gnassingbé avec 72,36% des suffrages.
DMK avait soutenu l’ex-Premier ministre Kodjo Agbéyomé déclaré perdant au scrutin présidentiel et aujourd’hui en exil suite à une revendication insistante d’une victoire volée. Les membres de cette Dynamique dénoncent un »coup d’État électoral » et une exploitation politique »du terrorisme à des fins de restriction de la liberté de manifestations’’. À cela s’ajoute le harcèlement des médias à l’instar du quotidien Liberté condamné par la justice le 5 octobre 2022 à payer 4 millions de francs CFA de dommage et intérêt à la Première ministre Tomegah Dogbé à la suite d’une publication. Dans le pays, les acteurs des médias qui revendiquent une liberté de ton n’hésitent pas à dénoncer une volonté manifeste du pouvoir Gnassingbé à bâillonner la presse afin de faire taire toutes les voix critiques.
Cette succession de fait finit par émousser l’ardeur de beaucoup de Togolais. L’essoufflement après 55 ans de règne de la dynastie Gnassingbé est là. Certains sont tombés dans la résignation. Mais, même marginales, les voix résilientes survivent et sont prêtes à poursuivre le combat de la liberté à l’instar de Tikpi Atchadam qui avait lancé en août 2017 de grandes manifestations populaires qui avaient donné de l’insomnie au régime de Faure Gnassingbé encore en place malgré tout.
Brivaël Klokpê Sogbovi