Crise judiciaire au Bénin et avocats commis d’office : quatre ans sans salaire, l’UJAB exige des comptes à l’État

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L’Union des Jeunes Avocats du Bénin (UJAB) a donné un point de presse dans l’après-midi de ce lundi 10 février 2025 au siège de l’Ordre National des Avocats du Bénin à Cotonou. Au cours de cette sortie médiatique, ils ont tenu à prendre à témoin l’opinion nationale et internationale sur certains faits qu’ils considèrent comme une atteinte à leur profession.
Dans une déclaration lue par Me Natacha Balley, l’Union des Jeunes Avocats a notamment fait cas de ce que depuis 2020, l’Etat béninois a cessé sans motif valable de payer les avocats commis d’office lors des sessions criminelles organisées par les différentes juridictions sur toute l’étendue du territoire national. Et faisant allusion au procès Boko-Homéky dont le verdict a été rendu sans que les accusés ne soient assistés d’avocats, l’UJAB a dénoncé la condamnation du bâtonnier par la Cour Constitutionnelle pour avoir violé l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP). S’agissant du premier point, ils invitent l’Etat au paiement des indemnités dues aux avocats commis d’office. Sur le deuxième sujet, l’UJAB rappelle que l’assistance d’un avocat en matière criminelle est une obligation légale et internationale. Elle refuse par ailleurs toute forme de pression sur le Barreau pour masquer les carences de l’État, le Barreau étant indépendant et libre.

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INTÉGRALITÉ DE LA DÉCLARATION DE L’UJAB

POUR UNE JUSTICE RESPECTUEUSE DES DROITS FONDAMENTAUX ET DE L’INDÉPENDANCE DU BARREAU DU BENIN

L’Union des Jeunes Avocats du Bénin prend à témoins l’opinion nationale et internationale des faits suivants:

  • Depuis 2020, l’Etat, sans aucun motif valable, a cessé de rémunérer les avocats commis d’office lors des sessions criminelles organisées par les différentes juridictions sur toute l’étendue du territoire national. Ces derniers ont continué à assurer, à leurs frais, la défense des personnes accusées jusqu’à novembre 2023 où sous l’égide du Bâtonnier et du Conseil de l’Ordre, toute commission d’office a été suspendue jusqu’à nouvel ordre.
  • Depuis cette date, seuls les dossiers des accusés ayant les moyens de se payer les services d’un avocat sont programmés et jugés en session criminelle pendant que les autres croupissent en prison sans jugement puisque l’Etat s’est refusé d’assurer sa mission d’accès à la justice pour tous.
  • Lors du procès de l’affaire dite d’ « atteinte à la sûreté de l’Etat », le Président de la Criet a saisi le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats aux fins de commission d’office d’avocats pour la défense de messieurs Olivier BOKO et Oswald HOMEKY.

Rappelant au Président de la CRIFT que les conditions de la commission d’office ne sont pas remplies en l’espèce, notamment l’impécuniosité des accusés, le Bâtonnier n’a néanmoins pas manqué d’attirer l’attention sur le mouvement observé par les avocats depuis.

Estimant pouvoir obtenir sous injonctions des commissions d’office, le Président de la Criet a réitéré sa requête.

  • Entre temps, par arrêt avant dire droit en date du 23 Janvier 2025, la Criet a donné un délai de 5 jours aux accusés pour constituer les avocats de leur choix.
  • Avant même l’expiration de ce délai, un recours a été déposé à la Cour constitutionnelle pour voir dire que le Bâtonnier aurait violé les dispositions de l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de ‘Homme et des Peuples.
  • Malgré que la personne à qui l’initiative du recours constitutionnel a été imputée a déclaré n’avoir jamais introduit ledit recours, la Cour s’autosaisit et rend la décision DCC 025-24 du 30 janvier 2025 qui déclare en substance que le Bâtonnier a violé l’article 7 de la CADHP. Poussant plus loin le bouchon, la Cour autorise le Président de la juridiction à suppléer au défaut de commission d’office d’un avocat par le Bâtonnier et à passer outre toute désignation si l’avocat commis dans ces conditions refusait d’accomplir la mission.
  • Ainsi, aussi étonnant et aussi inédit que cela puisse paraître, la Cour Constitutionnelle autorise les juridictions criminelles à juger les accusés sans présence d’un avocat.

Cette décision qui constitue une première dans l’espace UEMOA et même dans le monde viole le droit le plus élémentaire de la défense, celui du droit à un procès équitable tel que consacré par la constitution et plusieurs instruments internationaux, notamment le même article 7 de la CADHP.

Il faut savoir que la liberté des barreaux est un principe de convergence constitutionnelle commun à tous les États membres de la CEDEAO conformément à l’article 1er du protocole additionnel A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance.

À cela s’ajoute le protocole de Bamako du 3 novembre 2000 sur le bilan des pratiques de la démocratie des droits et des libertés dans l’espace francophone à travers lequel le Bénin a pris l’engagement d’assurer l’indépendance de la magistrature, la liberté du Barreau et la promotion d’une justice efficace et accessible, garante de l’Etat de droit.

L’Union des Jeunes Avocats du Bénin exprime sa plus vive préoccupation suite à cette décision rendue par la Haute juridiction constitutionnelle.

La Cour Constitutionnelle, alors qu’elle a retenu la violation par le Bâtonnier de l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples en vient à l’article 5 de sa décision à donner la possibilité à un juge de juger en matière criminelle une personne sans la présence d’un avocat.

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Elle a donc par cette évidente contrariété de motifs, elle-même violé le droit à un procès équitable des personnes accusées de crime.

En validant ainsi, la possibilité de juger un accusé sans avocat en cas de défaillance de la commission d’office, la Cour Constitutionnelle du Bénin marque un recul inquiétant du droit à un procès équitable et remet en cause un principe fondamental du droit pénal moderne.

Depuis le Code d’instruction criminelle de 1808 sous Napoléon 1er, l’assistance obligatoire d’un avocat en matière criminelle est une garantie essentielle contre les abus judiciaires. Ce principe, adopté par le Bénin, est également consacré par les conventions internationales, notamment la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.

Cette décision de la Haute juridiction constitutionnelle est d’autant plus préoccupante qu’elle occulte les véritables responsabilités de l’État.

Depuis plus de quatre (04) ans, les avocats commis d’office pour des sessions criminelles, qui se sont déplacés à leurs frais dans toutes les juridictions du pays et qui ont valablement accompli leur office obtenant à maintes reprises des acquittements, n’ont pas été rémunérés.

Toutes les démarches initiées par les Bâtonniers successifs depuis l’année 2020 à l’endroit de la chancellerie sont demeurées vaines.

Plutôt que de contraindre les avocats à travailler gratuitement, l’État doit assumer ses obligations et garantir un véritable accès à la justice.

L’Union des Jeunes Avocats du Bénin :

  1. Rappelle que l’assistance d’un avocat en matière criminelle est une obligation légale et internationale.
  2. Invite au paiement des indemnités dues aux avocats commis d’office depuis l’année 2020.
  3. Refuse toute forme de pression sur le Barreau pour masquer les carences de l’État, le Barreau étant indépendant et libre.

Nous appelons tous les acteurs judiciaires à se mobiliser afin que cette atteinte aux droits fondamentaux ne devienne pas un dangereux précédent.

Nous invitons par ailleurs le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Bénin à saisir la Conférence des Barreaux de l’Espace UEMOA aux fins de dénoncer les atteintes graves portées à la profession d’Avocat au Bénin.

Fait à Cotonou, le 10 Février 2025

Le Bureau de l’Union des Jeunes Avocats du Bénin

P/O
Le Premier Vice-Président

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