Erwan Dianteill récompensé pour son ouvrage « L’Oracle et le Temple » : Une première historique pour l’Afrique noire depuis 1663

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Pour la première fois depuis sa création en 1663, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, prestigieuse institution de l’Institut de France, a couronné un ouvrage consacré à l’histoire religieuse de l’Afrique subsaharienne, plus précisément de l’Afrique noire de l’Ouest. Jusqu’ici, les travaux primés en histoire des religions portaient essentiellement sur les traditions de l’Égypte ancienne ou d’autres aires culturelles.

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Le Prix Pierre-Antoine Bernheim 2025, l’un des plus prestigieux prix scientifiques en sciences humaines, doté de 10 000 euros, a été décerné à Erwan Dianteill pour son livre « L’Oracle et le Temple », une plongée ethnographique, théologique et historique au cœur de l’Église du Fa, une institution religieuse originale née entre le Nigeria et le Bénin.

Le lauréat Professeur Erwan Dianteill

Reconnaissance historique pour les religions africaines, ce prix consacre non seulement un chercheur d’envergure internationale, mais une tradition spirituelle africaine longtemps ignorée ou méconnue du monde académique occidental.

Une « Église du Fa » au carrefour des traditions et de l’innovation

Dans « L’Oracle et le Temple », Erwan Dianteill met au jour un phénomène religieux unique : l’existence d’une véritable Église africaine du Fa, fondée à la charnière du XXᵉ siècle par Adebanjo Olorunfunmi Osiga au Nigeria, puis implantée au Bénin à Porto-Novo dès les années 1930. Alliant théologie inspirée de l’anglicanisme, pratiques divinatoires traditionnelles (ifa/fa), rituels innovants, et clergé hybride mêlant devins et prédicateurs, cette Église illustre de façon magistrale la créativité religieuse du Golfe de Guinée. «Ce que l’Institut de France honore aujourd’hui, c’est l’originalité et la profondeur des traditions religieuses africaines et notamment bénino-nigériane», a déclaré Dianteill, ému, à l’annonce du prix. « Ce prix reconnaît la richesse extraordinaire du patrimoine spirituel du Bénin et du sud-ouest du Nigeria », a-t-il ajouté.

A Cotonou, rencontre entre le professeur Erwan Dianteill et le Pasteur Aplogan, Oluwo (doyen) de l’église de Fa Adulawo au Bénin.

Une enquête de terrain de plus de 10 ans entre Porto-Novo, Lagos et Harvard

Fruit de dix années de recherches intensives, de séjours prolongés sur le terrain et d’un travail en archives exceptionnel (notamment une collection rare de livres d’Osiga conservée à Harvard), l’ouvrage primé mêle histoire, anthropologie religieuse, ethnographie et théologie comparée. Il s’inscrit dans une trilogie afro-atlantique que Dianteill a construite au fil de ses enquêtes à La Havane, La Nouvelle-Orléans, et Porto-Novo. «Contrairement aux adaptations étudiées ailleurs, j’ai découvert ici une innovation liturgique et institutionnelle authentiquement africaine. Une tradition qui ne se contente pas de survivre, mais qui crée et invente», a fait savoir le lauréat.

Un anthropologue passeur entre les mondes

Professeur à l’Université Paris Cité, deux fois membre de l’Institut universitaire de France, Erwan Dianteill est aussi fellow à Harvard, où il poursuit des recherches sur la géomancie entre l’Afrique et l’Europe médiévale. Son engagement constant à valoriser les religions africaines dans les arènes savantes occidentales lui vaut cette reconnaissance inédite. Le prix est dédié selon lui «aux mânes des ancêtres béninois, qui sont aussi spirituellement les miens aujourd’hui».

Banniere carrée

Le Pasteur de l’église mère de Porto-Novo : M. J.P. ADANDOHONDHI

Depuis des décennies, les traditions religieuses africaines ont souvent été marginalisées, considérées comme pré-logiques fragmentées ou incompatibles avec les normes institutionnelles occidentales. Le travail d’Erwan Dianteill vient déconstruire ces représentations héritées du colonialisme savant. À travers l’Église du Fa, il montre que l’Afrique n’est pas seulement dépositaire d’un passé religieux, mais un laboratoire vivant de l’avenir spirituel.
«Ce prix n’est pas seulement le mien. Il appartient à tous les prêtres, pasteurs-devins, chantres et fidèles de l’Église du Fa, qui m’ont confié leurs chants, leurs textes, leur sagesse. Sans eux, ce livre n’aurait pas existé.»

Porto-Novo et Lagos, berceaux d’une révolution spirituelle silencieuse

C’est à Porto-Novo, capitale du Bénin, que Dianteill a pu observer la renaissance d’une communauté longtemps discrète. Encouragée par une liberté religieuse retrouvée dans les années 1990, l’Église du Fa au Bénin est sortie de l’ombre, redonnant aux jeunes générations une fierté identitaire et une force spirituelle fondée sur leurs propres traditions.

Ce réveil religieux africain n’est pas un retour au passé. C’est une affirmation du droit de croire et de créer selon ses propres formes, sans dépendre de modèles venus d’ailleurs.
L’Oracle et le Temple ne se contente pas de décrire un phénomène religieux. Il le recontextualise dans les dynamiques longues de l’histoire africaine et afro-atlantique, des circulations entre le golfe du Bénin, l’Europe médiévale et les Amériques noires.

Dianteill y articule l’histoire coloniale, les recompositions postcoloniales, et la théologie vivante issue des savoirs oraux. « Ce livre est aussi un dialogue entre disciplines. J’y ai mêlé la rigueur de l’histoire, la finesse de l’anthropologie, la profondeur de la théologie et l’écoute du terrain. »
La consécration de ce livre constitue un appel d’air pour les chercheurs africains travaillant sur leurs propres traditions religieuses. Trop souvent, ces sujets sont perçus comme marginaux ou non scientifiques. Le Prix Pierre-Antoine Bernheim 2025, qui sera décerné le 3 octobre prochain, envoie un signal clair : l’histoire religieuse de l’Afrique noire est digne des plus hautes reconnaissances internationales. « J’espère que ce prix encouragera d’autres chercheurs béninois, togolais, nigérians ou ivoiriens à poursuivre ce travail de réhabilitation de leurs patrimoines immatériels. »

Eglise du fa en construction à Porto-Novo

Avec cette distinction, le Fa entre dans l’arène mondiale des traditions religieuses reconnues. Ce n’est pas seulement l’Afrique qui gagne, mais le pluralisme spirituel mondial. L’UNESCO, les universités africaines et les maisons d’édition francophones sont désormais interpellées. Il est temps de réinvestir ce champ avec ambition, sérieux et respect.

Une traduction en anglais et en portugais de l’ouvrage est déjà envisagée pour permettre aux diasporas afro-descendantes de se reconnecter avec ce pan méconnu de leur héritage religieux.

Le Prix d’Histoire des Religions de la Fondation Pierre-Antoine Bernheim 2025 ne couronne pas seulement un ouvrage remarquable : il inscrit l’Afrique noire dans l’histoire mondiale des religions savantes, à part entière, avec ses propres mots, ses propres rites, sa propre profondeur.
Et c’est le Bénin, pays de Fa, des maîtres de la géomancie, qui en est le héros silencieux et rayonnant.

Ulrich ZINSOU

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