
Tribune : TOGO : entre stabilité électorale et agitation sociale, les signes d’une transition silencieuse
Alors que le parti au pouvoir obtient 75 % des sièges aux élections municipales dans un climat qualifié de « calme », le Togo fait face, depuis plusieurs semaines, à une contestation populaire nourrie par de nouvelles formes d’expression sociale et politique. Un contraste révélateur d’une société en mutation.
Par Jean-Claude YEVI, analyste des dynamiques sociopolitiques en Afrique de l’Ouest et spécialiste de la communication interculturelle
Le scrutin municipal qui s’est tenu récemment au Togo a donné lieu à une victoire éclatante du parti au pouvoir, lequel a obtenu 75 % des sièges, dans un climat décrit comme apaisé. Pourtant, ce calme institutionnel coexiste avec une agitation sociale bien réelle. Depuis début juin, le pays est traversé par des manifestations de rue parfois violemment réprimées, à l’appel non pas de formations politiques classiques, mais de figures issues du monde culturel, artistique ou numérique.
Ce double constat — stabilité électorale d’un côté, colère populaire de l’autre n’est pas simplement paradoxal. Il reflète une réalité plus complexe : celle d’un système institutionnel qui fonctionne selon des logiques bien établies, pendant que la société, elle, évolue, invente, s’exprime autrement.
Ce phénomène n’est pas propre au Togo. Dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, on observe ce que l’on pourrait appeler une « dissonance démocratique » : les cadres électoraux sont maintenus, voire renforcés, mais ils peinent à absorber les nouvelles formes de participation citoyenne qui émergent en dehors des partis et des urnes.

La contestation togolaise de ces dernières semaines s’inscrit dans ce registre. Elle ne se structure pas autour de programmes ou de leaders politiques traditionnels. Elle mobilise des émotions, des symboles, des récits, souvent portés sur les réseaux sociaux ou dans des expressions culturelles populaires. Ces voix ne demandent pas seulement un changement de pouvoir ; elles appellent une transformation des façons d’être entendu, représenté, considéré.
La communication interculturelle nous enseigne que le décalage entre ce que les institutions émettent et ce que les citoyens perçoivent peut devenir une source de crise si les canaux de médiation ne sont pas renouvelés. Lorsqu’un gouvernement se félicite d’un scrutin calme pendant que des jeunes tombent sous les balles lors de manifestations, c’est moins une contradiction qu’un signal d’alerte : les récits sur lesquels reposent la légitimité politique ne sont plus partagés.
Il ne s’agit pas ici de délégitimer le processus électoral en tant que tel. Mais de poser une question de fond : que vaut la paix des urnes si elle ne résonne pas dans les consciences collectives ? Et que disent ces formes nouvelles de mobilisation entre art, activisme et indignation sur l’état réel du lien entre l’État et sa société ?
Face à cela, plusieurs pistes peuvent être envisagées. Renforcer les cadres de dialogue en dehors des seuls cycles électoraux. Intégrer les formes non conventionnelles d’expression citoyenne dans la construction des politiques publiques. Déployer une écoute active, non seulement dans les sphères politiques mais aussi dans les champs culturels, numériques et éducatifs.
Le Togo, comme d’autres pays de la région, se trouve peut-être à la croisée des chemins : entre une stabilité formelle et une demande croissante de réinvention démocratique. C’est dans la capacité à reconnaître, comprendre et intégrer cette transition que réside l’un des grands défis de gouvernance pour les années à venir.
