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Tribune de Jean-Claude Yevi : Béninois au Gabon : quand la mémoire des liens doit l’emporter sur les tensions du moment

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Dès le lever du jour, les marchés de Libreville s’éveillent dans un mélange de couleurs, de voix et d’odeurs. Parmi les étals, les commerçants béninois tiennent une place essentielle : poissons fumés de l’Ouémé, tissus colorés, artisanat minutieux, mets parfumés aux recettes transmises de génération en génération. Ces scènes quotidiennes sont le reflet vivant d’une Afrique où les migrations, loin d’être de simples déplacements, tissent des réseaux humains, culturels et économiques. Depuis des siècles, les commerçants haoussas, les pêcheurs ghanéens, les artisans maliens et les enseignants béninois ont façonné le continent, contribuant à sa diversité et à sa richesse.

La migration béninoise vers le Gabon n’est pas récente. Depuis plusieurs générations, des familles venues des régions de l’Ouémé et du Plateau ont trouvé ici stabilité et opportunités. Leur présence s’est inscrite durablement dans la vie des villes et des campagnes. Les Béninois ne sont pas des spectateurs : ils sont artisans de l’économie locale, créateurs d’emplois, innovateurs dans l’artisanat, la restauration, le transport et l’hôtellerie. Leurs activités ne nourrissent pas seulement leurs familles, elles dynamisent les communautés gabonaises, tissant des liens économiques et sociaux solides entre Gabonais et Béninois.

Cette relation est d’ailleurs bidirectionnelle : le Bénin accueille un nombre important d’étudiants gabonais dans ses universités publiques et privées. Chaque année, des centaines, voire des milliers de jeunes Gabonais viennent chercher une formation académique de qualité, contribuant à la vitalité intellectuelle et culturelle du pays. Cette circulation des savoirs et des talents renforce encore l’idée que nos migrations africaines ne sont jamais unilatérales mais toujours fondées sur l’échange et la complémentarité.

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Pourtant, cette histoire n’est pas exempte de fragilité. En 1978, environ 10 000 Béninois vivaient déjà au Gabon. Les tensions politiques au Bénin avaient alors provoqué des violences anti-béninoises, marquant douloureusement les mémoires avec le pillage du marché Mont-Bouët à Libreville. Aujourd’hui, de nouvelles restrictions, notamment à Lambaréné, ravivent ce spectre. Chaque limitation économique, chaque fermeture de marché pour des étrangers africains affaiblit l’unité continentale et fragilise le projet de libre circulation soutenu par la CEDEAO, la CEMAC et l’Union africaine.

Ces tensions vont bien au-delà d’un simple conflit local : elles interrogent la solidité des liens africains, l’intégration et le respect mutuel. Ignorer nos interdépendances ou rompre les liens séculaires construits par nos ancêtres, c’est fragiliser le tissu même de l’unité africaine.

Il est urgent que les États béninois et gabonais reprennent le dialogue avec diligence. La sécurité et les droits des Béninois doivent être garantis. Des mécanismes de médiation interculturelle, associant commerçants, autorités locales et représentants communautaires, doivent être mis en place pour restaurer la confiance et la cohabitation harmonieuse.

Au-delà de la politique, de l’économie et des chiffres, ce sont des histoires de vie, de solidarité et de contributions quotidiennes qui sont en jeu. Les Béninois au Gabon incarnent la mémoire de nos migrations, la richesse de nos échanges et l’avenir d’une Afrique unie. Préserver ces liens, c’est protéger notre histoire commune et construire un avenir où solidarité, dialogue et respect mutuel triomphent sur la peur et la division.

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