Annick Nonohou au sujet des difficultés rencontrées par les sages-femmes: « Elles sont exposées à des traitements inhumains, dégradants»

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Dans le cadre de l’édition 2020 de la journée internationale des Sages-femmes, la présidente fondatrice du réseau des soignants, amis des patients (Rsap-Bénin) a accordé une interview exclusive à votre journal. Annick Nonohou épouse Agani Yaï parle ici des activités initiées à cette occasion, des conditions de  vie et de travail des sages-femmes. Elle profite pour faire  un plaidoyer et  lancer un appel à l’endroit des gouvernants, des agents de santé et des populations.

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Le Potentiel : La Journée Mondiale des sages-femmes a été célébrée il y a quelques jours. À cause de la situation sanitaire actuelle, les activités traditionnelles  n’ont  pas été organisées. Qu’avez-vous fait au sein de votre réseau pour célébrer le métier ?

Annick Nonohou : Pour célébrer l’édition 2020 de la journée internationale des sages-femmes, le réseau des soignants amis des patients a organisé plusieurs activités en tenant compte des recommandations  de la confédération internationale des sages-femmes (ICM) autour du thème : « célébrer, démontrer, mobiliser, unifier». Il s’agit fondamentalement de célébrer le travail des sages-femmes et de les honorer. De démontrer que les interventions des sages-femmes sont salutaires et incontournables, de mobiliser les femmes et la communauté pour la protection, la défense des droits des femmes et des sages-femmes, d’unifier le mouvement d’exigence de changement de paradigme pour un monde égalitaire où les droits des femmes et des sages-femmes sont respectés. Tenant compte du contexte de la pandémie, nos activités ont été faites dans la majorité des cas sur  les réseaux et dans les médias. Nous avons partagé des photos, vidéos d’activités et des affiches électroniques  sur Facebook et dans plusieurs groupes Whatsapp d’influenceurs potentiels et de groupements de femmes. Nous avons fait des interviews au niveau des médias.

Par ailleurs, nous avons distribué des gadgets et affiches gravées de messages aux individus, familles et communautés (Ifc).

L’OMS recommande aux gouvernants d’investir dans les sages-femmes, de les soutenir, les célébrer et les protéger. Aux sages-femmes, l’OMS  demande de défendre les droits des femmes,  de combattre l’injustice. On constate que ce sont des chantiers sur lesquels votre réseau est actif depuis toujours.

Les Rsapiens béninois sont très fiers de leur activisme en Afrique pour la promotion des droits humains en milieu sanitaire. Le contenu des recommandations de l’Oms pour l’année 2020, déclarée année des sages-femmes et des personnels infirmiers, prouve que nous sommes sur le bon chemin, et que nos actions et interventions respectent les normes internationales standards nécessaires pour l’amélioration de la qualité des soins et pour la réduction des taux de décès évitables. Nos actions et interventions reposent essentiellement sur le renforcement de capacités des professionnels de santé et des Ifc sur le droit de la Santé, l’implémentation de la démocratie sanitaire, la promotion du modèle humaniste des soins, la protection des droits des patients et la prévention de l’élimination des violences faites aux femmes en milieu sanitaire d’une part, puis les plaidoyers réalisés à l’endroit des autorités politico-administratives d’autre part pour l’institutionnalisation des pratiques novatrices progressistes. De plus, nous formons les sages-femmes  sur leur nouvelle mission fondée sur les droits humains afin que la  vision 2020 de la pratique Sage-femme soit une réalité en Afrique.

 

Comme tout métier,  la profession des sages-femmes a des risques. Partagez avec nous les difficultés que rencontrent les sages-femmes africaines, surtout que vous intervenez dans plusieurs pays africains.

S’agissant des difficultés rencontrées par les sages-femmes africaines, elles sont nombreuses et de plusieurs ordres. Sur le plan social, nous pouvons dire que les sages-femmes sont souvent décriées et subissent des traitements  inhumains, dégradants mettant  en péril la vie des femmes et des enfants qu’elles prennent en charge. Sur le plan médical, les sages-femmes sont confrontées à une surcharge de travail, à l’absence d’autonomie dans un contexte de clientélisme et de terrorisme médical, du milieu de travail inadéquat. Elles sont aussi victimes de discriminations négatives, d’insécurité majeure, d’irrespect, de harcèlement et sont écartées des grandes instances de décision, alors qu’elles sont incontournables pour l’amélioration de la qualité des soins pour la réduction des décès évitables. C’est pour cela que l’Oms et ses partenaires ont fait un appel en 2016 pour recommander l’arrêt des violences qu’elles subissent, etc.

Sur le plan administratif, elles subissent des injustices caractérisées par la non-reconnaissance du statut médical de leur profession, l’absence de suivi de carrière des sages-femmes cadres non reclassées et exploitées par rapport à leurs nouvelles compétences sur le terrain. Au plan financier, les sages-femmes reçoivent des salaires misérables et ne bénéficient pas de la cotation des actes médicaux qu’elles effectuent. Elles ne jouissent pas non plus de motivations pécuniaires telles que les primes et trophées d’excellence. Il a été relevé que l’insuffisance de salaire impacte négativement la qualité des soins. Sur le plan législatif, il y a le défaut de prise de lois spécifiques portant réglementation de la pratique  Sage-femme et reconnaissance du statut médical, sans oublier l’absence de lois portant prévention-répression des violences faites aux sages-femmes. Au plan éducatif, il y a la non-prise en compte dans les curricula de formation des pratiques novatrices et leurs nouvelles missions. La majorité des sages-femmes ne bénéficient pas de développement professionnel continu. La validation d’acquis d’expériences n’est pas une réalité en Afrique, l’absence de prise en charge des sages-femmes pour leurs participations aux congrès scientifiques internationaux. Sur le plan juridique, nous dirons que la pratique Sage-femme étant une profession médicale à lourde responsabilité et à compétences définies, les sages-femmes sont exposées à un haut risque médico-légal et à une grande sinistralité liée à l’obstétrique.

Vous rencontrez certainement assez de difficultés dans l’exercice de votre fonction de sage-femme juriste. Parlez-nous alors de quelques-unes de ces difficultés et dites-nous  comment vous parvenez à les surmonter.

Je rencontre assez de difficultés à savoir l’incompréhension des soignants et certaines autorités administratives, le dénie de ma qualification mixte (sage-femme et juriste) dans le monde professionnel, les traitements inhumains et dégradants, les rejets, l’absence de soutien de l’autorité de tutelle, le harcèlement moral, la non utilisation de mes compétences et expériences dans l’administration publique nationale, la non jouissance de mes droits liés à ma carrière professionnelle, la non-adhésion des soignants aux modèles humanistes des soins basés sur le respect des droits humains en milieu sanitaire.

Pour surmonter ces difficultés, je m’investis dans le réseautage national et régional à travers des plates-formes numériques et les rencontres scientifiques internationales.  Je fais aussi la promotion des soins humanisés, de la démocratie sanitaire, de la défense des droits humains en milieu sanitaire à travers les médias.

Doit-on appeler tout accoucheur sage-femme?

                                                                                       

Non, parce que  l’accouchement peut être réalisé soit par une sage-femme (prioritairement), soit par un gynécologue-obstétriciens ou infirmière accoucheuse.

Comment devient-on sage-femme ? Pensez-vous que la formation actuelle est suffisante au regard des violences que les sages-femmes exercent sur les parturientes ?

Pour devenir sage-femme, il faut faire une étude de 3 ans après le Baccalauréat pour obtenir sa licence et deux ans en plus pour obtenir le master dans la spécialité choisie. Quant  à la formation donnée actuellement, je pense qu’elle est insuffisante, car on constate que les curricula de formation ne prennent pas en compte les missions novatrices de la sage-femme fondées sur les droits humains.

À l’occasion de cette journée, quels appels avez-vous à lancer aux gouvernants, aux sages-femmes, aux autres professionnels de santé et à la population ?

Comme appel à l’endroit des gouvernants, je leur demande d’investir dans les sages-femmes et de les soutenir. Au niveau de l’exécutif, je plaide pour une revalorisation de la pratique Sage-femme, une reconnaissance du statut médical de la profession, un reclassement des sages-femmes cadres, une augmentation des salaires des sages-femmes, une cotation des actes médicaux que les sages-femmes effectuent, une actualisation des curricula de formation en y intégrant les pratiques novatrices progressistes, une motivation psychologique et pécuniaire  telle que les primes et trophées d’excellence.

À l’endroit du législatif, nous plaidons pour la prise de deux lois. Une première loi portant réglementation de la pratique  Sage-femme et reconnaissance du statut médical et deuxième la loi portant prévention, répression des violences faites aux sages-femmes.

Je voudrais également attirer l’attention des sages-femmes africaines sur le fait qu’elles exercent une profession médicale à compétence définie et non paramédicale, qu’elles doivent obligatoirement s’inscrire au tableau national de l’ordre des sages-femmes de leurs pays avant d’exercer leur métier. Je leur recommande fortement de respecter les règles d’éthique et de déontologie, d’être vertueuses, compétentes, humanistes, empathiques et de renforcer leur capacité sur leurs nouvelles missions, la démocratie sanitaire et le  droit de la santé en Afrique.

Aux autres professionnels de santé, je demande de collaborer parfaitement avec les sages-femmes. J’exhorte les populations à soutenir les sages-femmes. Aux femmes, je demande d’être des actrices actives de leur santé, de militer pour la jouissance des droits et libertés individuelles en milieu sanitaire.

Transcription : Louis Tossavi

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