
Écologie, citoyenneté, mémoire et renaissance politique : Bienvenu Laurent Jimaja, une autre Afrique est possible
Dans un long entretien accordé à des confrères et non encore publié, Bienvenu Laurent Jimaja, maire écologiste du Grand-Saconnex en Suisse et Béninois de la diaspora, propose une lecture singulière du parcours africain, de ses impasses et de ses possibilités. À travers un récit mêlant mémoire personnelle, analyse politique et conviction écologique, il appelle à une refonte des modèles hérités, à l’action citoyenne, et à une Afrique debout.
L’écologie, pas comme une posture idéologique, mais comme principe organisateur de toute société digne de ce nom. « L’écologie est une sagesse africaine que le monde redécouvre », rappelle-t-il dès l’ouverture. Un rappel à l’ordre qui vise à replacer les pratiques traditionnelles au cœur de la modernité, à condition de les comprendre, les adapter et les mettre au service d’un projet politique cohérent.
Sa trajectoire commence au Sénégal, dans un moment de bascule historique, la démission volontaire de Senghor. Il en retient une exigence politique rare, faire du pouvoir un sacerdoce, non un privilège. Il se nourrit ensuite des débats de l’Assemblée nationale, de la pensée de Cheikh Anta Diop, des mouvements d’opposition africains exilés et des discussions sur le Franc CFA. Une école intellectuelle et politique où il apprend l’art du dialogue et l’écoute active. « À Dakar, on devenait un autre. »
De retour au Bénin, le marasme post-révolutionnaire et les politiques d’ajustement structurel le tiennent à distance du secteur public. Comme beaucoup de sa génération, il doit se réinventer. Le destin le pousse alors en Suisse, où il s’installe presque par nécessité familiale. Très vite, il comprend que l’intégration passe par l’engagement. En 2003, il est élu au conseil municipal. Pour lui, les minorités visibles n’ont pas à se contenter de survivre ; elles doivent contribuer à définir les règles du jeu.
En tant qu’élu local, il défend une écologie systémique, imbriquée dans la justice sociale, la culture et la spiritualité. Il refuse de séparer les questions environnementales des conditions de vie. « Penser global, agir local » : il oppose cette formule aux logiques technocratiques. L’écologie, pour lui, commence par des gestes simples, par des choix éclairés, par une proximité renouvelée entre citoyen·ne·s et institutions.

L’Afrique, insiste-t-il, n’est pas en retard. Elle est même, dans certains domaines, en avance par sobriété forcée. Le problème, c’est que les élites africaines, notamment les « Akowé » (ceux qui « connaissent papier »), ne jouent pas toujours leur rôle de pont entre savoirs et société. Jimaja les appelle à plus de responsabilité, à cesser de calquer des modèles extérieurs qui ne parlent pas aux populations. Il invite à renouer avec des solutions endogènes emballages naturels, savoirs médicinaux, circuits courts, etc.
Il est particulièrement virulent sur la question éducative. Pour lui, les systèmes actuels fabriquent des chômeurs diplômés, pas des acteurs économiques. Il plaide pour des formations utiles, ancrées et mobilisables, en phase avec les besoins locaux. « La jeunesse est une chance, pas un problème. Mais elle n’a pas les clés. »
Ce diagnostic le mène à une proposition : une thérapie politique et sociale de l’Afrique. Guérir du poids de l’histoire. En finir avec la nostalgie coloniale. Abandonner les slogans creux. Reconstruire un lien réel entre État, société et culture. Il ne croit ni au miracle, ni au salut extérieur. L’effort, dit-il, doit être collectif, lucide et incarné.
À quelques jours de la Fête nationale du Bénin, son propos prend une tonalité particulière. Il interroge le sens même de cette célébration. Faut-il encore parler d’indépendance, demande-t-il, lorsque l’histoire du pays depuis 1960 est celle d’une continuité coloniale sous d’autres formes ? Faut-il se satisfaire de quelques infrastructures pour masquer l’absence de vision endogène ? Loin d’un discours décliniste, il propose plutôt un retour aux fondamentaux : remettre la citoyenneté, la culture et la justice sociale au centre des projets politiques.
Ce que Jimaja oppose à la résignation ambiante, ce n’est pas l’utopie, mais l’action. Pas l’exaltation, mais l’exemple. Son parcours montre que l’engagement, même modeste, produit des effets durables. Son discours, sans illusion mais sans cynisme, s’adresse à celles et ceux qui croient qu’on peut encore redonner du sens à la politique.
L’écologie, dans sa bouche, n’est pas un luxe ni une lubie d’Occident. C’est une affaire de dignité, d’efficacité et de survie.
